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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/201

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compte. Celui-ci ferait l’affaire aussi bien qu’un autre. Donkin l’observait sournoisement.

— Bientôt rendus à présent, remarqua Wait.

— Pourquoi que t’avales tes mots ? demanda Donkin avec intérêt. Tu peux parler fort.

Jimmy parut contrarié et ne dit rien pour quelque temps, puis d’une voix blanche, inanimée, sans timbre :

— Je n’ai pas besoin de crier. Tu n’es pas sourd, que je sache.

— Pour sûr, j’entends aussi bien qu’un autre, répondit Donkin à voix basse, l’œil attaché au sol.

Il méditait tristement de se retirer, quand Jimmy parla de nouveau :

— Il est temps d’arriver… histoire de manger à sa faim… J’ai toujours faim…

Donkin sentit monter tout à coup sa colère :

— Qu’est-ce que je dirai, moi, siffla-t-il. J’ai faim aussi et faut trimer. Faim, toi !

— Ton travail ne te tuera pas, commenta Wait faiblement ; il y a un couple de biscuits dans la couchette du bas. Là-dessous. Prends-en un. Je ne peux pas les manger.

Donkin plongea entre les deux couchettes, fouilla dans un coin et reparut bouche pleine. Ses mâchoires fonctionnaient avec ardeur. Jimmy semblait dormir les yeux ouverts. Donkin finit son biscuit et se leva.

— Tu ne t’en vas pas ? demanda Jimmy, fixant le plafond.

— Non, dit Donkin, sous le coup d’une impulsion soudaine, et au lieu de sortir, il cala du dos la porte close. Il regardait James Wait, long, maigre, desséché, la chair comme racornie sur les os dans une fournaise chauffée à blanc. Les doigts décharnés d’une de ses mains remuaient légèrement au bord de la couchette, exécutant un air qui