Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne finissait pas. Le regarder, cela irritait et lassait ; il pouvait durer ainsi des jours ; ce phénomène outrageux qui n’appartenait complètement ni à la mort, ni à la vie, demeurait parfaitement invulnérable dans sa spécieuse ignorance de l’une et de l’autre. Donkin se sentit tenté de l’éclairer.

— A quoi qu’tu penses ? demanda-t-il malgracieusement.

James Wait grimaça un sourire qui promena sur l’impassibilité cadavérique de sa face osseuse quelque chose d’invraisemblable et d’affreux, comme, aperçu en rêve, un sourire subit sur le masque d’un mort.

— Il y a une fille, murmura James Wait… une de Canton Street. Elle a plaqué, pour moi, le troisième mécanicien d’un des bateaux de Rennie. Elle sait frire les huîtres juste comme j’aime… Elle dit qu’elle lâcherait n’importe quel type pour un gentleman de couleur… Ça, c’est moi. Je suis gentil pour les dames, ajouta-t-il un peu plus haut.

Donkin scandalisé en croyait à peine ses oreilles.

— C’est vrai ? Pour ce que tu en ferais, dit-il sans cacher son dégoût.

Wait n’était plus là pour l’entendre. Il se pavanait le long de l’East India Dock Road, affable et fastueux : « C’est ma tournée », disait-il en poussant des portes vitrées à fermeture automatique, et en posant, avec une superbe assurance dans la lumière du gaz au-dessus d’un comptoir de palissandre.

— Penses-tu donc encore descendre à terre ? demanda Donkin, rageur.

Wait, réveillé, tressaillit.

— Dans dix jours, fit-il promptement.

Et de réintégrer ces régions de la mémoire qui ne savent