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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/203

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rien du temps. Il se sentait sans fatigue, calme, comme retiré sain et sauf en soi-même, hors de l’atteinte de toute incertitude grave. En leur lenteur, les moments de son absolue quiétude empruntaient quelque chose de leur succession immuable aux minutes de l’éternité. Il se complaisait en toute sérénité parmi la vivacité de réminiscences gaiement travesties en mirages d’un indubitable avenir. Personne ne lui importait. Donkin sentait cela vaguement, comme un aveugle pourrait sentir dans sa nuit l’antagonisme fatal de toutes les existences ambiantes à jamais inimaginables, invisibles et enviées pour lui. Un désir le prit d’affirmer son importance, de briser, de broyer, de se ranger de pair avec tout le monde, en toutes choses ; déchirer les voiles, arracher les masques, mettre nu le mensonge, lui couper toute fuite… perfide attrait de la sincérité ! Il rit et moqueusement crachota :

— Dix jours. Oh ! là, là !… Tu seras claqué p’t-être à c’heure-ci demain. Dix jours !

Il attendit un peu.

— T’entends pas ? Qu’on me pende si t’as pas l’air déjà mort.

Jimmy devait rassembler ses forces, car il dit presque haut :

— Tu es un sale puant de mendiant, de menteur. Tout le monde te connaît.

Et il se dressa sur son séant, contre toute probabilité, au grand effroi de son visiteur.

Mais, très vite, Donkin se remit. Il éclata :

— Quoi ? Quoi ? Qui qu’est le menteur ? C’est toi, c’est l’équipage, le capitaine, tout le monde. Moi pas ! De quoi ! Des magnes ? Qu’est-ce que t’es donc ?

Il suffoquait d’indignation.

— Qui que t’es pour faire le malin ? reprit-il tremblant