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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/205

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et de désolation comme le murmure au loin d’un vent qui se lève. Wait branlait la tête, roulait les yeux, niait, maudissait, menaçait, sans qu’un mot eût la force de franchir la moue douloureuse de ses lèvres noires. Ce fut incompréhensible et troublant ; un radotage d’émotions, une frénétique pantomime de paroles plaidant pour obtenir d’impossibles choses, sommant des vengeances obscures. Donkin en fut soudain calmé, sa colère muée en vigilance aux aguets.

— Tu peux pas piper. Hein ? Qu’est-ce que je disais ? fit-il lentement après un instant d’examen attentif. L’autre continuait sans pouvoir s’arrêter ni se faire entendre, hochant la tête avec passion et des ricanements où luisaient, effarants et grotesques, des éclairs de larges dents blanches.

Donkin, on eût dit fasciné par l’éloquence et la fureur muettes de ce fantôme noir, se rapprocha, le cou tendu par une curiosité mêlée de méfiance ; et soudain il lui sembla n’apercevoir qu’une ombre humaine accroupie là, genoux aux dents, sur la couchette, au niveau de ses yeux scrutateurs.

— De quoi ? de quoi ? dit-il.

Il semblait saisir la forme de quelques mots au hasard dans le halètement de ce râle continu.

— Tu le diras à Belfast ? Ça se peut-il ! C’est que t’es un sacré gosse ?

Il tremblait d’alarme et de rage.

— Dis-le à ta mère-grand ! T’as peur ! Qui que t’es donc pour avoir plus peur qu’un autre ?

Le sentiment passionné de sa propre importance balaya un dernier reste de prudence.

— Dis ce que tu voudras et Dieu te damne ! Parle si tu peux ! Ils m’ont traité pire qu’un chien, tes sales lécheurs