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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/68

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incompréhensible malade. Mais le mépris de ce ricanement nous fut pénible à supporter.

La position de Donkin dans le gaillard d’avant était distinguée mais incertaine, éminente seulement par l’antipathie générale qu’il inspirait. On l’évitait et son isolement concentrait ses pensées sur l’âpreté des brises du cap de Bonne-Espérance et son envie sur les vêtements chauds et les cirés dont nous étions pourvus. Nos bottes, nos suroîts, nos coffres bien emplis, autant pour lui de sujets d’amère méditation : il ne possédait aucune de ces choses et sentait, d’instinct, que personne au besoin ne lui en offrirait. Impudemment servile vis-à-vis de nous, il se montrait envers les officiers insolent par système. Il escomptait pour lui-même les meilleurs résultats de cette ligne de conduite et se trompait fort. De telles natures oublient que, en cas d’extrême provocation, les hommes sont justes, qu’ils le veuillent ou non. L’insolence de Donkin envers le débonnaire M. Baker nous devint à la longue intolérable et nous nous réjouîmes le soir sans lune où le second s’avisa de le mater pour de bon. Ce fut fait proprement, avec grande décence et décorum et à petit bruit. On venait de nous appeler — peu avant minuit — pour orienter les vergues, et Donkin, selon sa coutume, émit des remarques injurieuses. Tandis que, mal éveillés, nous nous tenions rangés, le bras de misaine à la main, attendant la suite des ordres, il sortit de l’ombre un son de bourrades, de pieds traînés, une exclamation de surprise, des bruits de horions et de gifles, des mots étranglés qui sifflaient : « Ah ! tu en veux ?… » « Arrêtez !… Arrêtez !… » « Alors, marche… » « Oh ! oh !… » Suivit une succession de chocs mous mêlés de tintements de ferrailles, comme la chute d’un corps dégringolant parmi les bringueballes de pompe. Avant que nous sachions ce qui arri-