Aller au contenu

Page:Le Stylet en langue de carpe.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vivre, nez au vent, mains étreignant le réel, corps attendant la manne de tous les plaisirs humains. J’étais roi. À côté de moi une femme que j’aimais, dans ma tête le souvenir de toutes les randonnées accomplies par le vaste monde et qui rehaussaient d’originalité ce voyage fait au hasard dans un pays civilisé. Comment aurais-je pu refuser de sourire, de vivre et d’être heureux ?

Je vois les arrivées dans des auberges minuscules et dérisoires. Le poulet qu’on attrape, plumé dans un envol de duvets, vidé au bénéfice de quelque chien attentif, et qu’on fait rôtir devant une cheminée primitive, qui sent les siècles perdus.

Nous dînions sous une lampe incertaine, dans des assiettes à fleurs. Nous goûtions des vins inattendus, aux saveurs rustiques et toujours neuves, des eaux-de-vie fraudées qui sentaient le bois et la fumée, des confitures emplies de relents forestiers, La nuit nous entourait de son tissu d’ombres, le silence prenait partout une redoutable majesté. Les aubergistes regardaient ces incon-