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Page:Le Stylet en langue de carpe.djvu/184

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nus si étranges. Leur ébahissement devant Rubbia m’emplissait d’orgueil. Et les heures coulaient, tandis que je songeais à mes ennemis de Paris, occupés sans doute à fourbir de nouvelles armes.

Nous parlions, ma maîtresse et moi, à ces moments-là, de nos voyages plus lointains, et dont le souvenir faisait une toile de fond pittoresque à notre présence en ce lieu. Elle connaissait les îles de la Sonde et Tucuman, Mexico et Tchita, Kaboul et Santiago-du-Chili. Nous rapprochions nos itinéraires de jadis et comparions nos souvenirs. En telle ville perdue nous avions tous deux remarqué un reliquaire dans une église, un mendiant lépreux, une couleur de ciel, une potence garnie, une femme, une cuisine, des moustiques… Nous jacassions en toutes langues, et autour de nous des gens, qui devaient mourir sans avoir quitté le coin de sol où ils étaient nés, nous écoutaient avec une sacrée terreur, comme si nous fussions quelques démons reconnaissables à cette sorcellerie erratique.

Ensuite nous nous couchions dans des lits