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Page:Le poisson d'or.djvu/20

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LE POISSON D’OR

deux mains se crispèrent comme pour retenir l’histoire qui fuyait. Mais Mme de Chédéglise la rassura d’un sourire.

Que ma présence n’empêche rien, dit-elle.

Puis, s’adressant au conteur :

— Monsieur Corbière, ajouta-t-elle sans lui donner ni titre ni particule, si votre mémoire fait défaut, je vous viendrai en aide.

En même temps elle s’approcha de lui et lui tendit sa joue, où le ministre, rougissant comme une fillette, déposa un gros baiser tout ému.

Pour le coup, la belle duchesse s’assit sans mot dire ; la marquise se casa solidement dans son fauteuil. Parmi l’auditoire silencieux, vous eussiez entendu la souris courir.

— Où en étais-je ! demanda brusquement le ministre. Je ne vous savais pas à Paris, madame et bien bonne amie… Enfin, n’importe… À la fin de mon entrevue avec M. Keroulaz, j’étais parfaitement fixé sur ce point, qu’il ne pouvait accorder la main de sa fille à M. Bruant dit Judas, détestable coquin s’il en fût, et sur point, que, devant le tribunal, sa cause était perdue d’avance.

Néanmoins, le lendemain matin, je dis adieu à mon monde et je pris place dans la diligence de Lorient.

C’est une ville toute neuve, née du commerce, vivant de l’administration, et qui s’inquiète peu des souvenirs. Tout le monde y mange le pain du budget et tout le monde, par conséquent, y fait un peu d’opposition. Je ne puis pas me vanter d’être un voyageur, mais, parmi les villes que j’ai parcourues, je n’en ai rencontré aucune où l’on soit si ardent au plaisir. C’est preuve d’ennui, comme la gloutonnerie démontre