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LE POISSON D’OR

quittant le ton du récit pour jouer la comédie, présentait à son auditoire le matelot conteur avec une telle franchise et une telle perfection, qu’il enlevait le succès. Ce n’était pas seulement le langage qui était reproduit, il y avait aussi la voix, l’accent et jusqu’au geste. On était, en vérité, à Gavre, au cabaret du père Mikelic, à la porte de ce paradis où la chandelle fumait aussi généreusement que les pipes.

— Pendant qu’on boit un coup, mesdames, poursuivit le ministre ouvrant une parenthèse, j’ai besoin de vous avertir que vous êtes ici en présence de personnages très importants. Ce Vincent, dont le nom a été prononcé en passant et qui a reçu mission de charger l’écuelle de Seveno, est tout uniment notre héros, et je proclame avec plaisir que je lui dois les trois quarts des suffrages qui m’envoyèrent à la Chambre des députés aux premiers jours de la Restauration. C’était lui que je voyais le mieux ; il s’asseyait en face de mot sur un billot. Sa tête, couverte de grands cheveux blonds embrouillés, recevait en plein la lumière de la chandelle. Il était très-jeune et me parut tout d’abord appartenir à cette catégorie d’enfants sacrifiés qu’on appelle en Bretagne des innocents, catégorie d’où sortent, chose bizarre, presque tous ceux qui font leur chemin au travers de la vie. Chez nos Bretons, l’innocent est celui qui ne ressemble pas à tout le monde.

Vincent ne ressemblait pas à tout le monde. Le hâle n’avait pu voiler entièrement la blancheur de sa peau, et sa chevelure en désordre faisait ressortir la délicatesse singulière de ses traits. Au milieu de ses compagnons trapus et carrés, la longueur juvénile de sa taille lui prêtait une apparence de faiblesse. Bien qu’il fut