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Page:Le poisson d'or.djvu/48

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LE POISSON D’OR

din rouge avec deux cornes, quatre z-yeux, un corps de homard et une queue d’hirondelle… Aussi vrai comme la mer est salée ! Et il parlait…

— Et il parlait ! répéta d’une seule voix l’équipage de la Sainte-Anne.

— Comme père et mère. Qu’il dit donc au Judas d’une voix de bœuf : « T’es-t-un fin finaud de matelot, ma vieille ! T’as deviné que les privilèges des ci-devant étaient à tout le monde, et tu les as pris pour toi tout seul ; t’as mon estime. Découds-moi le ventre proprement, si c’est un effet de la complaisance, et, comme de juste, tu y trouveras ta fortune. »

Voilà donc qui est bon ! Mon Bruant ne se le fit pas dire deux fois. Ces tonnerres de merlus, ça a au milieu du ventre une couture à surjet, rabattue avec du fil à voile, qu’un point ne dépasse pas l’autre, et tapée à la papa ! Mon Bruant prit son eustache et coupa mignonnement le fil sans faire crier la bête. Va bien. Au lieu de boyaux, le merlus rendit un sac de cuir contenant douze mille francs en pièces de vingt-quatre livres. Après quoi il fit une culbute par-dessus le bord et s’en retourna chez lui. Excusez.

Seveno fit une pause pour boire d’un seul trait sa chopine. Il y avait silence. Seul, Vincent grommela :

— Douze mille francs !

En présence de ce récit qui touchait de si près aux infortunes de sa race, ne songeait-il donc qu’à l’argent ce fier et beau jeune homme dont le front pensif attirait de plus en mon intérêt ?

Il se leva, et je vis que son pas chancelait. Il était le seul pourtant qui eût laissé son écuelle pleine.

— Où vas-tu, l’enfant ? lui demanda Seveno avec un singulier mélange de tendresse et de pitié.