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Page:Le poisson d'or.djvu/49

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LE POISSON D’OR

— Ma tête brûle, répliqua l’innocent.

— Alors fais un tour, mon canard, et tâche de voir sur la grève si j’y suis.

Seveno secoua la tête en le regardant s’éloigner.

— Un joli brin de mâle pourtant ! pensa-t-il tout haut. Mais on dirait que ça ne lui fait rien d’être le fils de son père. Je le guette quand il regarde le Judas… Le sang ne vient jamais à ses yeux.

— Le Bruant a agi comme bien d’autres, dit Courtecuisse ; quoi donc ! il a acheté du bien national sous la République…

— Coupe ta langue, toi… Un pot de dur, Mikelic ! N’empêche que si l’enfant était resté là, je n’aurais pas pu tout dire, car il y a du sang là dedans. Ces Chédéglise étaient des cœurs de lion. Si le dernier d’entre eux dort, ce n’est pas à moi de réveiller…

Autour de la table, il y eut à ces mots un mouvement. Les matelots de la Sainte-Anne se rapprochèrent du patron, qui avait perdu son air gouailleur et qui était tout pâle.

Il y avait longtemps que mon brouet était achevé. J’écoutais depuis plus d’une heure, et je ne songeais point à me retirer.

— Comme quoi, reprit le vieux Seveno, le nom de Judas ne lui est tout de même pas venu pour des prunes. Vous vous souvenez bien que, la veille au soir, avant de rentrer chez moi, j’avais signalé, de l’autre côté de Gavre, une barque qui ressemblait au bateau du sous-brigadier de la douane ? Il n’y a rien de changé, depuis le temps, voyez-vous, mes garçailles, malgré la révolution ; ce qui était est encore, comme dit cet autre. Le poisson d’or ne peut mordre qu’à l’hameçon d’un Penilis. Voilà le vrai.