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Page:Le poisson d'or.djvu/59

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LE POISSON D’OR

Il y avait un bon vieux juge du tribunal qui portait la main à sa toque en parlant de lui.

Dans les rues, on commençait à me reconnaître. Les pauvres ne me demandaient pas l’aumône. La marchande de tabac servait tout le monde avant moi.

Ma seule consolation était de traverser la rade parfois et d’aller m’asseoir une heure entre M. Keroulaz et sa fille. Quand j’aborde ce souvenir, il me semble que je vais me répandre en détails honnêtes, gracieux et charmants. Mon cœur est plein ; mais, à mieux regarder ces humbles reliques sont d’attache et ne se peuvent point exhiber au dehors. Ce qui emplit mon cœur y reste. Je ne saurais comment déchiffrer tout haut cette chère page de ma conscience.

Non, madame et bonne amie, ce n’est pas ici votre présence qui me gêne. J’ai pris mon parti de tout dire, et d’ailleurs qu’y a-t-il cacher ? Mais il faut l’ombre pour repousser la lumière, et il n’y avait point d’ombre dans l’admirable placidité de cet intérieur. À ce foyer je me sentais plus chrétien et meilleur. C’était un saint, ce fier et doux vieillard ; il avait pitié de son ennemi victorieux et plaçait chaque soir le nom de Bruant dans sa prière.

Dans cette maison, j’interrogeais peu, et il eût fallu positivement interroger pour savoir. Mon aventure au cabaret Mikelic avait fait naître en moi de nombreux et graves soupçons ; je craignais de les voir confirmés, tant je me sentais au-dessous de mon rôle de vengeur.

Je ne suis pas encore entré dans les détails du procès Keroulaz. Il y avait là aussi des présomptions, très vagues, mais décidément lugubres. Je dois avouer que, dès lors, Bruant était pour moi un malfaiteur de la