Aller au contenu

Page:Le poisson d'or.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
LE POISSON D’OR

pire espèce et que mes yeux voyaient du sang a ses mains. Mais j’étais en quelque sorte complice de la lâcheté générale qui me paralysait. Je ne pense pas que j’eusse dès ce temps le moyen de soulever le voile ; en tous cas, je ne l’essayai point.

J’éprouvais à la fois de la frayeur et du dégoût. L’idée que cet homme avait demandé la main de Jeanne me faisait frisonner. Je ne l’avais jamais vu. Au demeurant, je ne savais de lui que son âge, sa richesse et son avarice. Les gens de Lorient, qui le connaissaient bien mieux que moi, ne voulaient point croire à ce roman de la demande en mariage. Ils disaient que M. Keroulaz se vantait. Étant donnés le caractère de M. Bruant, l’époque et le courant d’idées qui menait alors le monde, il est bien sûr que les gens de Lorient avaient vraisemblance en leur faveur.

Il y eut un point cependant sur lequel je pris des informations discrets mais précises. Vous vous souvenez de mon grand beau mousse contemplant cette lueur qui brillait au troisième étage, chez mon client ? Je voulus savoir au vrai quelles relations existaient entre Vincent et Jeanne. Voici ce que j’appris : Keroulaz et Penilis étaient cousins, mais Jeanne ne connaissait pas Vincent.

J’ai dit que j’étais un esprit positif. La nature de mes études et mon précoce acharnement au travail de cabinet m’avaient éloigné de plus en plus du pays des rêves. Dussé-je me perdre auprès de vous, mesdames, je puis affirmer que je n’ai pas eu de jeunesse. Huit jours me séparaient déjà de cette étrange journée, unique dans ma vie, où six heures durant j’avais laissé mon imagination galoper la bride sur le cou. J’avais désormais défiance de moi-même au sujet de l’im-