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Page:Le poisson d'or.djvu/61

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LE POISSON D’OR

pression qui me restait de cette journée. Qu’était-ce, en somme ? Un sommeil de ma raison, bercé par une absurde légende.

L’impression subsistait pourtant, au point qu’à certaines heures de faiblesse j’entrevoyais un dénoûment fantastique aux cruelles réalités qui m’entouraient.

Espérais-je que Vincent, mystérieux chevalier de ma belle opprimée, avait pêché le Saint-Graal au Trou-Tonnerre ! la boîte mystique et qui, selon Vincent, ne devait pas être sacrilège avait-elle tenté encore une fois le poisson d’or ? Je n’espérais pas cela, puisque je ne cherchais nullement à savoir ce qui était advenu de la téméraire tentative du dernier des Penilis.

Qu’attendais-je donc ? En vérité, je ne saurais le dire au juste, mais j’éprouvai un désappointement profond la veille du jour où l’affaire Keroulaz devait venir à l’audience. Je vis à bord d’une chaloupe de pêche qui était à quai mon Seveno aux larges épaules et son équipage. Il fumait sa pipe magistralement à l’arrière ; tandis que les quatre matelots comptaient des cents de sardines dans les paniers, Vincent, rose comme une cerise, les jambes nues et les cheveux hérissés, passait et repassait la planche d’abordage, une corbeille dans chaque main. Il chantait je ne sais quoi de monotone et de lent, comme un bon gars dont les aïeux sont morts, partout ailleurs qu’à la croisade.

Évidemment, mon Vincent n’avait pas croché le damné merlus du Trou-Tonnerre.

Le lendemain, M. Keroulaz, sur ma plaidoirie, perdit son procès avec dépens devant le tribunal civil de Lorient. Les juges me donnèrent à entendre que le choix d’une semblable cause ne témoignait pas en