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Page:Le poisson d'or.djvu/63

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LE POISSON D’OR

nier de Vincent contenait deux superbes homards que maman Corbière trouva frais comme des roses.

À peine étais-je de retour à Rennes, que le courant de mes occupations me reprit. Il me semblait que je perçais ; je plaidais fort souvent, et l’on commençait à compter avec moi au Palais, mais les résultats matériels venaient avec une extrême lenteur. On eût dit que les bonnes causes me fuyaient, et j’étais décidément l’avocat des désespérés. Ce travail qui fait passer sous les yeux de l’homme de loi tant d’intérêts divers, tant de faits bizarres ou dramatiques, tant de subtilités, tant de complications de toute sorte, est absorbant au dernier point, et si un clou ne chassait pas l’autre, ce serait à devenir fou. Je cite donc, comme un fait à part, l’obstination de ma pensée à revenir sans cesse vers le procès Keroulaz.

Dès que ma tâche de galérien me donnait un instant de répit, je cherchais les moyens de confondre ce coquin de Bruant, je m’efforçais, je me creusais la tête, je plaidais à vide, comme don Quichotte combattait des fantômes. Ma femme et ma mère furent d’abord jalouses de cette idée fixe qui ressemblait si bien à une passion, puis, auprès d’elles, du moins, je gagnai ma cause et je conquis, en elles, des alliées. Aux repas, je leur expliquai l’affaire Keroulaz minutieusement, surabondamment, non point telle que je l’avais plaidée devant des juges malveillants et prévenus, mais comme je la façonnais en moi-même, comme je l’éclairais de rayons factices, comme je l’entourais de mes propres inductions. Ainsi faite, la cause de mon vieux ci-devant et de sa petite-fille était simple comme le bon sens et plus claire que le jour. Les deux chères, les deux excellentes créatures qui