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LE POISSON D’OR

extravagants. Ainsi, dans notre espèce, la presse cédée aux Keroulaz pour une somme de douze mille francs, avait été achetée, deux ans auparavant, au prix de cinq cents écus !

Je dis aux Keroulaz, car ils étaient deux Keroulaz dans ce temps-là, le père et le fils : le ci-devant marquis et le ci-devant comte, mieux connu sous le nom de M. Yves, et père de notre Jeanne.

Quelqu’un ici a dû se demander, tout comme nos juges au tribunal de Lorient, pourquoi M. Keroulaz ne pouvait fournir quittance, si vraiment il avait soldé le prix de sa presse. M. Keroulaz avait soldé le prix de sa presse, mais il n’avait jamais eu de quittance.

Le 16 octobre 1802, terme fixé pour le payement, M. Bruant vint à la presse de sa personne en homme ponctuel qu’il était, et réclama son dû. Il manquait à M. Keroulaz, qui avait rassemblé toutes ses ressources quelques centaines de francs pour parfaire la somme, et M. Yves devait le soir même rapporter cet appoint de Vannes. Bruant accorda jusqu’au lendemain, parce que Jeanne brodait auprès du bureau de son aïeule. Jeanne avait alors seize ans, et, M. Bruant lui caressa le menton paternellement, disant qu’elle était « bien mignonnette ». Le lendemain, M. Yves revint de Vannes avec l’argent. Il prit à peine le temps de déjeuner et se rendit au château de Penilis, où le Judas faisait sa demeure. M. Bruant était absent ; M. Yves attendit son retour jusqu’au soir, et ne sortit de chez lui que fort tard. Depuis lors, son père et sa fille ne le revirent jamais.

Pendant cette soirée et la nuit qui suivit, il y eut grande tempête. On supposa que M. Yves avait pu se perdre en traversant la rade.