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Page:Le poisson d'or.djvu/79

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LE POISSON D’OR

sait ce qui se passe sous le bateau ; la ligne parle et dit aux doigts si le poisson mord, ou si le poisson s’amuse. Parfois la boîte arrive devant un animal qui vient de prendre son repas ; alors il joue. Il me semblait que je voyais le damné merlus jouer autour de mon hameçon. Mors donc, fainéant, qu’on te pique !

Tâche ! il jouait toujours comme un quelqu’un qui a dîné et qui fait des boulettes avec la mie de son pain au dessert.

Auquel cas faut lui tirer l’objet tout doucement, pour lui faire envie. Les poissons, ça ressemble au monde. Ce qu’on craint de perdre, on le croche. Je halai sur ma ligne. Attention ! y avait quelque chose au bout. L’animal avait mordu à la sournoise. L’animal ? Il n’y a pas dans la mer d’animal si lourd que ça ! C’était la roche. On aurait joué un air de musique sur la corde, tant elle était tendue ; mes mains se déchiraient et l’effort faisait ruisseler ! e sang de mon bras.

Tiens bon, pourtant ! Ça venait un petit peu. Ce n’était pas la roche, car j’avais bien déjà trois ou quatre brasses de ma corde dans le bateau. J’avais ouï conter à Seveno qu’il avait péché au Glenan la grand’raie qu’on appelle un posteau ; elle pesait soixante-seize livres, mais elle gigotait, fallait voir, et son bateau allait comme une balançoire. Ici, rien ; on aurait dit que je montais un seau d’eau du fond d’un puits.

Était-ce Dieu possible ? J’amenai peut-être le poisson d’or, le vrai. L’or, ça n’est pas une chose vivante. Un poisson tout en or ne peut pas remuer.

Je halais. L’idée me vint que je halai un noyé.

Mais les noyés ne pèsent pas si lourd.

Je ne pourrais pas dire tout ce qui me passa par la