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Page:Le poisson d'or.djvu/91

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LE POISSON D’OR

Mais il y a la justice de tout le monde et la Justice avec un grand J, la vieille Thémis, qui porte une balance sur tous les frontons des temples où l’on plaide. Personne ne peut m’accuser de ne pas aimer cette Justice-là, qui m’a fait, en définitive, ce que je suis ; seulement j’aime encore mieux l’autre. Je ne sais pourquoi cette balance elle-même me fait peur ; je la comprendrais entourée d’un fort grillage, afin qu’aucune main subtile ne pût adroitement y glisser un faux poids.

Il y avait déjà moitié de chose jugée. Devant le premier tribunal, cette pièce, miraculeusement retrouvée, nous aurait sans doute donné la victoire. Sans doute, ici, on peut dire un peu plus que peut-être, mais pas beaucoup, à cause de l’absence du grillage. Maintenant il fallait faire casser le jugement. Remercions Dieu, qui nous vient en aide, mais n’entonnons pas encore le chant triomphal.

Pendant que je réfléchissais, tournant et retournant dans mes mains la quittance, qui était fraîche et intacte comme si elle eût dormi depuis le temps dans les cartons d’un garde-notes. Goton entra à grand bruit, précédant un commissionnaire qui portait la caisse de vin d’Espagne. Voyez déjà l’utilité du grillage ! L’avocat ne tient pas la balance, il est vrai, mais ces perfides petits cadeaux se trompent parfois de porte et montent plus haut que l’avocat. Pour ma part, je le voudrais si serré, le grillage, qu’il pût servir de parapluie à Danaé, et d’écran aussi contre vos rayons, belles dames !

Surtout contre vos rayons. Pour Thémis, en effet, je ne crains pas trop l’argent, fi donc ! Je me moque des caisses de vins d’Espagne, quoique Thémis ait contracté sur l’Olympe même l’habitude du nectar ;