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Page:Le poisson d'or.djvu/93

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LE POISSON D’OR

Je riais en parlant, mais mon accent démentait ma moquerie, car j’avais, en vérité, de l’enthousiasme plein le cœur.

Vincent obéit ; il prit la caisse de vin d’Espagne et la remit sur le dos du commissionnaire étonné. Je dis à ce dernier :

— Reportez cette caisse aux messageries pour compte de M. Bruant, propriétaire à Port-Louis.

Vincent murmura :

— Ah ! ah ! c’était Judas !…

Goton regarda partir la caisse avec chagrin et me dit sans façon :

— Quoique vous ne rouliez pas beaucoup, vous n’amasserez jamais de mousse !

Vincent avait apporté la procuration notariée de M. Keroulaz. Dès le lendemain, je consignai l’amende d’appel au greffe de la cour impériale, et l’affaire fut mise au rôle. Le lendemain aussi, je plaçai sous bande la missive de M. Bruant et je la lui renvoyai. Séparément, je lui écrivis la lettre suivante :

« M. Corbière, avocat, prie M. J. B. Bruant de vouloir bien, dans le plus bref délai possible, passer à son cabinet, pour affaire grave qui le concerne. »

Personne, je le pense, dans l’heureux et noble auditoire qui m’entoure n’a reçu de pareils billets. On se dérange quand on veut vous entretenir, mesdames, et vous aussi, messieurs, fût-on notaire et s’agit-il de vous annoncer la mort d’un onde avec la naissance d’un héritage. Vous ne pouvez savoir, par conséquent, quelle impression singulière produisent sur le commun des mortels, ces lignes laconiques et mystérieuses.

Tout homme qui s’occupe d’affaires et qui écrit sur du papier timbré possède ce pouvoir exorbitant de