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Page:Le poisson d'or.djvu/95

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LE POISSON D’OR

vivant de votre serviteur, nommé Duboscq, comme le Sosie de Lesurque, ou autrement, cela importe peu, et que je m’éveillais guillotiné, parce que cette seconde épreuve de moi-même avait eu l’indélicatesse d’arrêter la diligence. Ce sont là des songes pénibles. Et tenez ! je vis hier la fille de ce Lesurque, dont la femme est morte folle. J’ai voulu railler, mais me voilà qui tremble. La fille de Lesurque venait me demander la réhabilitation de son père, déshonoré peut-être par erreur, assassiné peut-être par mégarde. Moi, ministre, je n’ai pas pu : la statue de Thémis ne veut pas. Nous sommes allés chez le roi, la fille de Lesurque et moi, et, en chemin, elle me disait :

— L’Empereur n’a pas pu, le Roi ne pourra pas…

Elle disait vrai. Vous voyez bien ! Dés que bouge un des suppôts de la déesse, l’innocent a quelques raisons pour trembler. — Mais le coupable ?

Ah ! vous ne savez pas, et nul ne sait, je l’affirme, dans quelle étrange proportion la conscience humaine est troublée. Ce n’est pas l’homme d’État qui vous parle ici, c’est le vieil avocat, vétéran de l’inquisition de Palais, le légiste qui passait pour retors et qui, à tout le moins, peut se vanter d’en avoir vu de toutes les couleurs.

Il y a des milliers de degrés dans le mal, comme il y a des milliers de nuances dans l’inquiétude produite par cette vague menace de la loi.

Chose singulière ! devant ce premier symptôme du réveil de la Providence, tel homme hardi s’abaisse qui résisterait vaillamment à une accusation plus formelle. C’est l’inconnu ; ce sont les ténèbres ; c’est la voix redoutable, venant on ne sait d’où, et prononçant à l’oreille un nom oublié, une date perdue…