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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/281

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Et un matin, comme ils avaient évolué avec la plus grande aisance de la porte des Ternes à la porte Champerret, Gadon s’écria soudain :

— Je me sens sûr de moi, Breviquet, et vous ?

— Absolument,

— Eh bien, si on poussait jusqu’au bureau ?

— Allons-y ! murmura Breviquet en sanglotant.

Ce fut un coup d’audace. Ils faillirent Plus d’une fois le payer cher. Gadon, qui dirigeait, perdait la tête dès qu’une voiture le croisait de trop près. Les rails, les pavés gras, les tournants, tout le terrifiait, Cependant il se tenait très droit, l’air d’un mannequin avec sa redingote noire et son vieux haute-forme.

Quant à Breviquet, courbé sur son guidon, son chapeau de paille comme collé aux reins de son co-équipier, il sanglotait.

Ils arrivèrent en sueur, et tellement émus qu’ils revinrent à pied le soir, en poussant leur tandem. Et durant quinze jours il en fut ainsi. Ils n’osaient plus. Cet instrument leur paraissait la chose au monde la plus dangereuse. Ils n’étaient point même sans quelque crainte lorsqu’ils le promenaient à travers les rues menaçantes. Trois fois il leur fit le tour de tomber, et ils s’écroulèrent par dessus lui, à plat ventre, saccageant les rayons et voilant les roues.

Ils ne se découragèrent point. De nouvelles tentatives furent plus heureuses, et il advint, que le trajet s’effectua dans des conditions normales. Gadon s’assouplit, se familiarisa avec les pavés gras et les rails. Breviquet ne pleurait plus. Tout allait bien. Et cependant…