Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La belle fut, si l’on peut ainsi parler, écoutée dans le plus grand silence. À deux cents mètres du but Paul démarra. l’Américain le rejoignit, le dépassa, mais Paul, en un effort suprême, bondit, sembla laisser son rival sur place et le battit d’une longueur et demie.

Une ovation formidable accueillit son triomphe. Il dut faire deux fois le tour de à piste. En traversant le pesage il fut acclamé par une bande de fanatiques et porté jusqu’à sa cabine.

Julie s’y trouvait déjà. Surprise, elle voulut se lever, mais elle ne le put et retomba sur sa chaise en sanglotant. Paul la serra contre lui. On les regardait avec émotion. Quelqu’un dit à voix basse :

— C’est Mme Desson.

Mme Desson ?

— Oui, sa mère.

Un reporter se détacha des groupes et, s’adressant à Julie :

— Vous devez être contente, Madame ; voici votre fils au premier rang.

Elle leva la tête, ne comprenant pas. Il insista :

— Au tout premier rang. Et pour une mère…

Cette fois Paul entendit, 11 allait protester. Julie lui serra la main brusquement et répondit :

— En effet, Monsieur, je suis très contente.

Le soir, lorsqu’ils furent seuls, Paul lui demanda la raison de sa conduite. Elle balbutia :

— Oui, n’est-ce pas, c’est drôle… J’ai eu honte… Moi, ta femme, avec mes cheveux gris ! On m’aurait trouvée ridicule… Me vois-tu répliquer d’un air pincé : « Je ne suis pas la mère, je suis la femme de Paul Desson. »

Le lendemain le journaliste rapporta dans son article la scène touchante qui s’était passée entre la mère et le fils. Paul voulut écrire. Julie n’eut pas de mal à l’en dissuader.

Et c’est ainsi que la chose s’accrédita.