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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/248

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et sociaux. J’aime à croire — et puisse le rapprochement monstrueux m’être pardonné — que l’œuvre d’Homère comptera un peu plus dans la somme des efforts moraux de l’humanité que celle de Blanqui.

En vérité, n’es-tu pas souvent pris comme moi d’une immense pitié, en songeant à ce misérable fracas de pygmées, à ces ambitions malsaines d’êtres inférieurs ? Ne t’enfonce pas dans cette atmosphère où tu ne saurais respirer. Je te le dis sincèrement, la plus grande peine que je pourrais éprouver serait de te voir, toi que j’aime et que j’estime entre tous, comme homme et comme poète, descendre pour toujours dans ces bas-fonds de notre malheureuse époque de décadence, pour y consumer en efforts stériles, en déviations déplorables, ta jeunesse et ton intelligence. La promptitude avec laquelle tu t’enthousiasmes pour ces hommes d’action m’inquiète. Vas-tu passer ta vie à rendre un culte à Blanqui, qui n’est ni plus ni moins qu’une sorte de hache révolutionnaire, hache utile en son lieu, je le veux, mais hache enfin ! Va ! le jour où tu auras fait une belle œuvre d’art, tu auras plus prouvé ton amour de la justice et du droit, qu’en écrivant 20 volumes d’économie.

Donnons notre vie pour nos idées politiques et sociales[1], soit ; mais ne leur sacrifions pas notre intelligence qui est d’un prix bien autre que la vie et la mort, car c’est grâce à elle que nous secouerons sur cette sale terre passionnée la poussière de nos pieds pour monter à jamais dans les magnificences de la vie stellaire. Ainsi soit-il.

  1. Voilà par quoi il diffère des positivistes contemporains, Renan, Taine qui écrit seubment : « Sérieusement, mon cher, peux-tu vivre de la vie politique ou de ce qu’on appelle la vie réelle ? Peux-tu aimer de toute ton âme autre chose que les choses parfaites que découvrent la science et la réflexion intérieure ? » (Lettre de jeunesse) ; qui n’ajoute pas : « Donnons notre vie pour nos idées politiques et sociales. »