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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/251

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développé en toi une excessive mobilité à laquelle tu ne prends pas assez garde, car c’est d’elle que proviennent et ton engouement subit pour tel homme et telle doctrine et ton détachement tout aussi prompt de ce même homme et de cette même doctrine. Tu portes dans la science et dans l’art, comme dans la politique, cette fatigue de tout effort suivi, ce désir invincible auquel tu obéis toujours, de changer de culte au gré de ton caprice. Agir ainsi, mon cher ami, c’est disperser tes forces, c’est répandre ton esprit en libations stériles, c’est appeler en toi, avant l’âge, la lassitude de l’intelligence et le dégoût de la vie. Or, tu es jeune, tu es instruit, tu as une haute moralité esthétique, tu as un talent plein de distinction et d’éclat ; donc, tu n’es pas fait pour mourir de la vie que tu mènes.

… En deuxième lieu, tu passes tes journées à discuter avec Cazavant[1] et autres ejusdem farine. Quand je songe à cela j’entre contre toi en d’épouvantables colères. Enfin, tu vas écrire, dis-tu, une histoire de la Révolution. Rien de mieux pourvu que, dans ton adoration actuelle de Louis Blanc, tu ne fasses pas un résumé de son livre, surtout de ses prolégomènes qui, entre nous, sont purement et simplement emphatiques et d’une vérité historique fort contestable.

Je donnerais beaucoup pour être certain du travail qu’on me promet. J’irais passer un ou deux mois à Genève où tu viendras me rejoindre. Nous nous retremperions tous deux. Tu me dis à ce propos que j’eusse mieux fait de rester à la Réforme que d’implorer la protection d’un réactionnaire qui me donne de l’eau bénite de cour. Je réponds victorieusement, d’une part, que le vieux Lamennais m’ayant très catégoriquement prié de partir, il m’était assez difficile de me cramponner à son

  1. Consulter l’Enfermé, de Geffroy.