Aller au contenu

Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Salut ! Les siècles morts renaissent sous mes yeux.
Les voici, rayonnants ou sombres, dans la gloire
Ou dans l’orage, pleins de joie ou pleins de bruit.
De ce vivant cortège évoqué de la nuit
Que les premiers sont beaux ! Mais que la nue est noire
Sous le déroulement sinistre qui les suit !...


La Nature n’éclate si généreuse en sa nouveauté que dans la splendeur du sort trouvé par l’homme sur la terre :


Et l’homme était heureux sur la face du monde,
La voix de son bonheur berçait la paix du ciel ;
Et, d’un essor égal, dans le cercle éternel,
Les âmes, délaissant la ruche trop féconde,
Aux fleurs de l’infini puisaient un nouveau miel.
Ainsi multipliaient les races fortunées ;
Et la terre était bonne, et douce était la mort,
Car ceux qu’elle appelait la goûtaient sans remords[1].


Prend-on un poème oriental, Khiron ? Le symbole du Centaure, en qui Maurice de Guérin avait admiré la force individualiste de la nature sauvage et Henri de Régnier goûtera la forme décorative d’une dualité mystérieuse, se rénove chez Leconte de Lisle, épuré de romantisme, ennobli de vie moderne, type idéal d’un surhomme primitif.

Chiron, âme centauresque des mythologies et des cosmogonies méditerranéennes, répète, en vaste et pieuse reconnaissance humaine, la poésie des nostalgiques bardes du Nord ; Chiron est la voix seconde à laquelle Leconte de Lisle inspire une invocation panthéistique à la vie meilleure qui fut :


Dans ma jeune saison que la Terre était belle !
Les grandes eaux naguère avaient de leurs limons
Reverdi dans l’Aither les pics altiers des monts.

  1. Le Massacre de Mona.