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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/286

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Et là, durant le cours des âges, j’ai nourri
De sagesse et d’amour tout un peuple chéri,
Peuple d’adolescents sacrés, race immortelle…


Kaïn, voix des religions de l’Asie hébraïque, évoque fraternellement la fraîcheur de la première vie, pure et vierge, la splendeur de l’idéal berceau, la majesté divine de soi-même :


Silence ! je revois l’innocence du monde.
J’entends chanter encore aux vents harmonieux
Les bois épanouis sous la gloire des cieux ;
La force et la beauté de la terre féconde
En un rêve sublime habitent dans mes yeux.
L’inépuisable joie émane de la vie ;
L’embrassement profond de la terre et du ciel
Emplit d’un même amour le cœur universel ;
Et la Femme, à jamais vénérée et ravie,
Multiplie en un long baiser l’homme immortel.
Et l’aurore qui rit avec ses lèvres roses,
De jour en jour, en cet adorable berceau,
Pour le bonheur sans fin éveille un dieu nouveau ;
Et moi, moi, je grandis dans la splendeur des choses
Impérissablement jeune, innocent et beau !


Ainsi tous s’entendent à louer cette première humanité heureuse, pacifique parce que frugale, point ambitieuse, tous s’entendent à déplorer et condamner ce qui y mit fin : la guerre, qui survint pour souiller la terre, faire dévier le sens des destinées. Kaïn figure l’humanité heureuse en qui laveh, principe de guerre, laissa s’éveiller la violence guerrière, et qui ne retrouvera le bonheur dans la paix et la fraternité que lorsque les guerres seront mortes avec les religions.

Celui qui blasphéma l’homme quand son inspiration jaillit du spectacle d’égoïsme et de laideur actuels, qui maudit l’homme contemporain avec