Aller au contenu

Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce que je sais la hiérarchie[1] ». Son action ne s’exerçait pas seulement sur les esprits vigoureux. « Nul génie ne parviendrait à donner de l’esprit aux sots, mais Leconte de Lisle leur donnait de la verve. Pendant cinquante ans il a rendu facétieux les imbéciles. À d’autres, en revanche, il communiquait un peu de cette gravité qui fait le fond de son génie. Il fut un vigoureux éducateur[2]. » C’est qu’il avait « la faculté si rare de se dédoubler, de se mettre, comme il disait en riant, dans la peau d’un autre, et toujours il nous donnait suivant votre nature le meilleur Conseil[3] ».

Son influence fut profonde et considérable. C’est qu’elle n’était point seulement celle du talent, mais du caractère[4]. Il fut exemplaire. Dans une époque de flaccidité universelle, ou tout au moins de complaisantes mollesses, ce créole donna l’exemple d’une fermeté qui s’affinait jusqu’à l’âpreté et que soutenait l’autorité d’un esprit vaste et divers. En effet, l’incomparable variété de sa culture et de son génie ne se dispersa point en une chatoyante mobilité d’imagination : elle fut la substance sans cesse renouvelée de son énergie et de sa tranchante supériorité de vue.

« Leconte de Lisle était un maître incomparable, parce qu’il n’essayait pas d’imposer sa manière à ceux qui vinrent lui demander des avis. Il prenait

  1. Il s’agit du discours reproduit dans Amori et dolori sacrum. Ces lignes-ci sont extraites d’une lettre.
  2. Barrès : Journal, juillet 1894.
  3. J.-M. de Heredia : discours à l’enterrement de L, de L.
  4. M. Henry Bérenger a indiqué que c’était le caractère de L. de L. qui lui avait valu le respect des jeunes gens de sa génération.