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Page:Leconte de Lisle - Premières Poésies et Lettres intimes, 1902.djvu/77

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premières poésies

beaucoup, parce que vous êtes plus digne d’être heureux et que tout ce qui vous environne vous froisse ou ne vous comprend pas !

Faut-il donc aimer, dites-vous, lorsque nul espoir ne nous est donné ? Oui, mon Ami, il faut aimer, parce que l’amour c’est la poésie, et que, sans elle, la vie n’est plus la vie. Mais il existe deux amours : l’un positif, ayant pour objet une réalité ; l’autre plus vaste, plus sublime, chantant ses créations plus belles aussi parce qu’il les a rêvées. L’un arrive à ce moment de la vie où, pressé de placer sur la première tête qu’il rencontre l’auréole de ses premières sensations, ardentes et dévouées peut-être, l’homme se passionne et se trompe toujours ; car, ainsi que toutes les passions, cet amour-là ayant son terme, il laisse affreusement vide le cœur qu’il remplissait naguère. L’autre, plus doux, plus frais, infini comme l’idéalité qu’il crée, est l’amour mystique, l’amour de l’âme, celui dont parle Platon. Tel n’est pas tout à fait le vôtre, mon Ami. Vous aimez et croyez avoir rencontré chez elle l’âme