Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/172

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piller jusqu’aux abords de nos postes. Le colonel Gallieni qui commandait le territoire se plaignit à diverses reprises au maréchal et le pria courtoisement d’y mettre bon ordre. Mais les déprédations continuaient et à chaque réclamation nouvelle, le malin Chinois répondait : « J’ai fait une enquête, elle n’a rien révélé. » Alors, à la suite d’un dernier incident, le colonel ne se plaint plus, mais fait déguiser en pirates une centaine de ses tirailleurs et les envoie piller sérieusement un village sur le territoire de Sou. Celui-ci s’émeut à son tour et télégraphie une réclamation pressante. La réponse arrive du tac au tac : «  J’ai fait une enquête, elle n’a rien révélé ». Le lendemain Sou vint rendre visite au colonel et lui dit en riant : « J’ai compris. » Et à dater de ce jour les pirates cessèrent leurs incursions.

La population de Quang-Tchéou-Wan accueillit Sou avec une froideur marquée. On était obligé de le faire accompagner par une compagnie baïonnette au canon. Aucun des mandarins influents ne vint lui souhaiter la bienvenue, comme c’est l’usage en Chine. J’ai remarqué qu’à son passage à Ché-Cam, les indigènes le regardaient de travers, d’un air manifestement hostile. Ils l’accusaient de pactiser avec les sauvages : les sauvages, lisez… les Français.

Un jour, notre chef de bataillon, le commandant Ronget, envoya son domestique, un Chinois, à Ché-Cam pour y acheter des provisions de bouche. Cet indigène, qui était du pays fut aussitôt entouré par ses compatriotes et conduit à Mac-Giang, ville qui servait de repaire à plusieurs bandes armées. Là on lui coupa la tête, on lui ouvrit le ventre et on jeta son cœur aux chiens. Je tiens le fait d’un témoin oculaire qui l’a raconté à notre interprète chinois. Servir les Français était le seul crime que ce malheureux avait commis. Le commandant ordonna néanmoins les plus grands ménagements dans nos relations avec cette population de tigres à face humaine. Le préfet de Chou-Kaï avait