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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/92

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jours aux apparences, on admirera plus tard tel ou tel qui écrira un beau livre sur ce pays, en y joignant son portrait. C'est ce qui arrive dans toutes nos colonies, où le régime militaire est qualifié de : mal nécessaire au début. Aussi, comme j'ai eu le chagrin de le constater souvent, dès que le danger est passé, officiers et soldats sont considérés comme quantités négligeables, excepté quand on a besoin d'eux. Alors, on daigne de nouveau leur faire bonne mine.

Behanzin fut dirigé sous bonne escorte sur Cotonou. Nous reprîmes la route de Dogba, et un grand nombre de malades, dont plusieurs n'ont pas atteint Cotonou, furent dirigés sur l'ambulance de Dogba, puis de là sur Porto-Novo et Cotonou. Notre chef, le capitaine Vernier, nous traita, tout le long de la route, avec un soin paternel et presque jaloux. Il marchait en tête de la compagnie et empêchait d'allonger le pas. Plusieurs fois, quelques hommes qui voulaient faire les malins, criaient : « Plus vite ! » Mais le capitaine nous demandait d'avoir confiance en son expérience, ajoutant en riant : « J'ai roulé ma bosse comme sous-officier pendant toute la campagne de 1870, et je crois m'y connaître en matière de marche. » En effet, nous arrivâmes à Dogba sans aucun traînard.

A l'ambulance de Dogba, un pénible spectacle s'offrit à mes yeux. Des malades, tous provenant de la colonne, et dont plusieurs ressemblaient à des spectres, étaient couchés sur des brancards. Les uns se tordaient ; les autres criaient ; d'autres encore divaguaient dans leurs accès de fièvre. Quelle tristesse de trouver en cet état ces nobles victimes du devoir ! Hélas ! je devais en voir bien d'autres dans ma carrière de soldat colonial. Je me suis rappelé ces vers d'Alfred de Musset :

L'homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert.

A Dogba, nous embarquâmes sur des chalands remorqués par des canonnières à destination de Porto-