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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/115

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II. — Celui qui frappait à la porte de l’auberge

Rouletabille allait beaucoup mieux depuis qu’il avait reçu la visite de la vieille rebouteuse cigaine ; il ne sentait plus son épaule, elle ne le brûlait plus ; son pied lui-même ne lui faisait plus mal… Toute douleur physique semblait avoir disparu, tant son allégresse intime était profonde. Il s’était glissé à bas de son lit et, derrière la fenêtre, son regard passait au-dessus de la cime des sapins, allait rejoindre dans la clairière les ombres qui s’agitaient autour des feux dans la forêt.

Zina ! c’était Zina qu’on lui avait amenée, qui l’avait soigné à sa mode en l’étourdissant tout d’abord de ses curieuses invocations. Quand elle avait cessé sa mystérieuse prière à l’on ne sait quels dieux infernaux, il lui avait demandé son nom, ce qui était la façon la plus simple de le savoir. Elle avait répondu qu’elle s’appelait Zina. Il n’avait pas bronché, et pendant qu’elle le massait avec une science séculaire, comme il l’avait habilement interrogée pour être bien sûr que c’était cette Zina-là ! Il avait bien fallu tout de même qu’elle lui avouât qu’elle venait, comme tant d’autres, des Saintes-Maries-de-la-Mer !… Et quel émoi elle avait marqué, bien qu’elle fît tout pour le dissimuler, quand il lui avait dit quelques mots du drame de Lavardens qu’il prétendait avoir lu le matin même dans un journal !… Ah ! ça n’avait pas traîné ! Elle n’avait pas demandé son reste ! Elle lui avait bandé l’épaule en deux temps, trois mouvements, et elle s’était envolée dans la nuit comme une vieille chouette…

Peut-être aurait-il dû être plus prudent ! Mais il fallait être sûr, sûr que c’était Zina ! Car Zina, c’était, à quelques pas de là, Odette !…

Maintenant, il ne la lâcherait plus, la pauvre petite prisonnière, elle et la troupe qui l’emportait ! et sa délivrance serait une question de vingt-quatre heures, le temps de faire prévenir les autorités de New-Wachter ! Quoi de plus simple ! Il fit monter à cette intention le patron, maître Otto, un Suisse allemand épais et qui paraissait toujours dormir à moitié, si bien que pour l’éveiller tout à fait, il n’était rien de tel que de lui prouver que, par ces temps difficiles où la monnaie fiduciaire avait pris une importance mondiale, on ne voyageait point sans un portefeuille bien garni de belles bonnes devises qui n’avaient été imprimées ni à Vienne, ni à Moscou…

Cependant celui-ci fit comprendre à son généreux client qu’il serait tout à fait impossible de déranger ces messieurs avant le lendemain matin. Fâcheux contretemps ! Rouletabille n’en prit pas moins ses précautions pour que ces « messieurs » fussent prévenus le plus tôt possible. En attendant, il ne devait compter que sur lui comme presque toujours…

L’arrivée qu’il prévoyait imminente au camp des bohémiens de Callista et d’Andréa ne l’inquiétait pas trop. Ceux-ci devaient être bien tranquilles, maintenant sur son compte ; ils devaient le croire très « amoché » après l’aventure du train, peut-être mort ! mis en bouillie par un convoi suivant ! En tout cas, ils pensaient être débarrassés de Rouletabille pour longtemps…

Le reporter se rééquipa, arma son revol-