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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/149

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— Attends-moi, je t’en prie. Monsieur de Lauriac, bonne chance !

Hubert prit les devants et se perdit dans la nuit…

— Ah ça, mais ! gronda Jean qui était à bout de sa patience et qui frémissait d’être ainsi retenu par Rouletabille… Es-tu ici pour lui ?… ou, pour moi ?…

— Je suis ici pour Odette !… Pense donc un peu moins à lui et un peu moins à toi !…

— Mais il va nous l’enlever !…

— Je l’espère bien !… Il faut d’abord qu’il nous l’enlève pour que nous puissions la lui reprendre !…

— Eh bien alors, suivons-le !…

— Non, fit Rouletabille, viens avec moi !…

Et comme ils étaient arrivés à un carrefour, il tourna bride du côté de l’orient… s’éloignant ainsi du chemin qu’avait pris Hubert !…

— Tu prends la route de Sever-Turn ! s’écria Jean !… Tu prends la route qui conduit chez les bohémiens !… mais Hubert fuira les bohémiens s’il enlève Odette !… et nous ne le reverrons plus jamais !… ni lui, ni sa proie !…

— Fais ce que je te dis, si tu veux revoir Odette !…

— Rouletabille, tu deviens fou !… ou plutôt non !… tu es très fort !… trop fort pour moi, vois-tu !… j’aime mieux ne pas t’en dire davantage !… Tu veux que nous nous séparions !… C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ?… Eh bien, séparons-nous !…

— Jean ! Je t’en supplie, écoute-moi ! lui jeta une dernière fois Rouletabille.

— Rouletabille, je n’ai jamais eu confiance dans Hubert !… et je n’ai plus confiance en toi !

Et donnant un furieux coup de botte dans le ventre de sa bête, il disparut dans la direction prise par Hubert.

— Eh bien, il ne manquait plus que ça ! s’exclama Rouletabille stupéfait… Qu’est-ce qu’il lui prend ?… Me voilà tout seul maintenant pour le grand coup !… Ah ! mes bons amis d’autrefois, mes fidèles compagnons d’aventure. La Candeur, Vladimir, où êtes-vous ?… Enfin, mon vieux Rouletabille, faut réussir quand même ! va, « t’en fais pas » !

Et il s’éloigna au petit pas de sa bête, bourrant mélancoliquement sa bouffarde.


V. — Il vint, celui qu’elle n’attendait pas !

Hubert arriva au camp des bohémiens, sans dissimulation, à franc étrier.

Il fut entouré tout de suite par la horde, hommes et femmes, qui lui posèrent cent questions à la fois.

Il dit qu’il voulait parler au chef ; alors Suco, le forgeron, le conduisit à Sumbalo que le cavalier salua à la mode cigaine. Puis Hubert se jeta à bas de sa bête qu’il retint par la bride et annonça alors qu’il venait de Sever-Turn, envoyé par le patriarche pour parler à la queyra !

Tous ceux qui l’entouraient firent entendre des cris d’allégresse et demandèrent des détails sur ce qui se passait dans la cité sainte.

Il fit la description de la joie qui y régnait et de l’attente impatiente de tous ! Le Temple était en fête, les maisons avaient sorti tous leurs tapis, les cloches ne cessaient de carillonner ; le grand Coesre (celui qui porte le fouet en sautoir pour flageller le monde) s’était fait faire un costume magnifique ; le patriarche envoyait des courriers dans toutes les capitales d’alentour ; quant à lui, il était chargé de la parole du grand prêtre auprès de la queyra !… Après quoi, il devait continuer sa course vers l’occident pour porter la bonne nouvelle au peuple de la route.

Sumbalo le conduisit lui-même à Odette…