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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/151

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poir qu’en lui ! et cela aussi la faisait atrocement souffrir !… Elle se taisait…

Hubert dit :

— L’évasion sera difficile… Il faudra payer d’audace !…

Mais la résolution d’Odette était prise ; elle déclara, d’une voix qu’elle essayait d’affermir vainement :

— Monsieur, je ne manquerai pas de courage !

— Merci, Odette ! murmura Hubert, très ému… je serai digne de votre confiance !… Vous savez que ma vie vous appartient !… Je jure maintenant de réussir !…

Ces dernières paroles sonnèrent mal aux oreilles d’Odette… Elle leur attribua tout de suite un sens sur lequel elle ne pouvait se méprendre…

— Monsieur, fit-elle, pas d’équivoque !… ma vie, à moi, ne vous appartient pas !…

Hubert devint très pâle, s’inclina et dit :

— Mademoiselle, je ne demande rien, rien, que la faveur de vous rendre à votre père !

Odette lui tendit la main… Il la lui baisa avec un respect infini qui finit de la rassurer.

— Quand je vais être parti, voici ce que vous allez faire, commença Hubert, après avoir regardé derrière la porte si on ne les écoutait point.

Mais il n’y avait, pour le surveiller, ni Callista, ni Andréa…

Quand Hubert était arrivé au camp, Callista et Andréa ne s’y trouvaient pas. Ils venaient de s’éloigner… Certes, Callista n’avait point invité Andréa à la suivre et c’était, au contraire, dans le dessein d’échapper à la surveillance insupportable du bohémien qu’elle s’était enfoncée sous bois, d’un pas de promenade, choisissant le moment où Andréa venait d’être accaparé par la vieille Zina qui lui racontait ses malheurs avec Odette…

Callista ne vivait que de l’âpre jouissance de sa vengeance. Au temps où elle était Parisienne, jamais elle n’eût pensé qu’elle pourrait aussi facilement revivre l’ancienne vie de la route avec toutes les promiscuités de la horde. Elle s’était soumise à nouveau aux coutumes cigaines sans révolte et même sans répugnance, comme si elle n’avait jamais goûté aux joies délicates de la civilisation. Par moments, elle s’en étonnait elle-même, mais elle expliquait tant de docilité par la prodigieuse satisfaction où elle était de se savoir vengée. La vue du malheur d’Odette la payait de tout. Elle ne se rassasiait point de la voir pleurer et la pensée du désespoir de Jean lui faisait bondir le cœur.

— Ah ! celui-là, comme il l’avait trompée ! comme il s’était moqué d’elle ! Comme elle avait compté pour peu de chose à ses yeux !

Au fond, il ne l’avait jamais aimée… Elle n’avait jamais été qu’un jouet voluptueux entre ses bras, et il s’était détourné d’elle comme si cela avait été l’événement le plus naturel du monde, auquel elle devait bien s’attendre !… Pour Jean, elle n’avait pas cessé d’être la vagabonde de la route à qui on a la grâce de sourire un instant et qu’on laisse retomber dans la poussière…

Sans doute ! mais elle avait entraîné Odette avec elle ! Qu’il vienne donc la lui reprendre !… Il aurait les cigains du monde entier contre lui !… Le singulier destin qui faisait toute la horde complice de sa vengeance l’enchantait comme un sourire des dieux ! c’était écrit !…

Elle s’avançait dans la forêt, le front