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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/152

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caressé par le vent frais qui soufflait de la montagne lointaine.

Elle s’avançait, pressant de ses sandales d’osier les tiges fines et sèches des hautes herbes parsemées de fleurs sauvages… C’était l’heure où une vapeur monte de la terre, où chaque plante exhale son parfum… Tout là-haut, vers l’orient traînaient encore de larges bandes dorées et roses qui semblaient tracées négligemment par un pinceau gigantesque. La sombre obscurité du ciel vers l’occident s’éclairait soudain par l’incendie des joncs secs qui croissent au bord des rivières et des étangs… Et puis ce fut la nuit.

Le vent gronda plus fort, les branches au-dessus de sa tête se tordirent avec des gestes de menace… Callista se dit qu’il était temps de retourner au camp ; elle aussi, comme tant d’autres, n’avait peur au fond que des choses mystérieuses qui se passent dans les ténèbres, auxquelles on ne peut donner un nom, et qui sont toujours prêtes à vous envelopper de malheur !…

Elle se retourna et se trouva en face d’une ombre immobile…

Mais elle reconnut que ce n’était qu’une ombre d’homme et elle se remit tout de suite de son émoi…

— Ah ! c’est toi, Andréa ! fit-elle de sa voix de colère… que me veux-tu encore ?… Ne me laisseras-tu donc pas une seconde en paix ?…

— Écoute, Callista, fit Andréa avec douceur et d’une voix qui tremblait… Tu sais ce qui est convenu entre nous et tu sais que je t’aime !… J’ai fait tout ce que tu as voulu !… Il faut avoir pitié de moi !… Je te dis que je t’aime !…

— Et moi, je ne t’aime pas !…

Il y eut un silence. Elle l’entendit souffler dans l’ombre… un souffle rauque de bête prête à bondir sur sa proie… Elle se jeta de côté et voulut fuir dans la direction du camp, dont on apercevait là-bas les feux éclairant les troncs, au ras de leurs racines gigantesques…

Mais il la raccrocha d’une poigne terrible et la ramena brutalement devant lui…

— Assez d’histoires !… Si tu ne m’aimes pas, tu m’aimeras !… Tu t’es assez joué d’Andréa !

Elle voulut l’écarter :

— À Sever-Turn !… lui jeta-t-elle. Tu sais bien ce que je t’ai dit : à Sever-Turn !…

— Tu ne reverras jamais Sever-Turn si tu ne m’appartiens pas ce soir !

Il était comme un sauvage… Elle se débattait farouchement. Elle vit dans sa main briller un couteau…

Ce n’était plus un jeu !… Elle comprit… Elle tenait à la vie. Elle cessa de se débattre.

Alors, quand il la vit sans résistance, dans ses bras, il la fit asseoir tout doucement près de lui… Il se mit à la caresser, à l’embrasser, à jouer avec ses cheveux… Il lui dit des choses ardentes et douces, à la mode cigaine…

Elle ferma les yeux pour ne pas le voir… Elle était docile en apparence. Il lui imprima un baiser sur ses lèvres glacées…

Tout à coup des clameurs s’élevèrent du camp, il y eut des courses éperdues sous bois… Des cris désespérés les firent se redresser. Quelqu’un passa qui leur cria dans la nuit :

— On a enlevé la queyra !