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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/160

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Il était très las !… de plus en plus accablé par la pensée insupportable de cet Hubert libre de disposer d’Odette !… Pour comble de malheur il devait renoncer pour le moment à les rejoindre.

Qu’est-ce que ces brigands voulaient faire de lui ?… Ils venaient de le désarmer et il marchait captif au milieu de la bande.

Chose singulière, cette dernière aventure le laissait à peu près indifférent quant au sort qui lui était réservé. En vérité, il ne pensait qu’à Hubert pour le haïr et aussi, de temps en temps à Rouletabille pour le maudire !…

Les bohémiens lui faisaient prendre des chemins impossibles pour éviter la route et même le moindre sentier tracé… Ils n’arrivèrent au camp que vers le soir…

La consternation y régnait toujours… Quand ceux qui étaient restés là virent qu’on ne leur ramenait pas la queyra, ils firent entendre des cris de rage et d’horribles menaces à l’adresse de Jean, puis mille lamentations. Les femmes se couvraient les cheveux de cendres… Zina était comme possédée du démon… Elle invoquait toutes les divinités cigaines dans un charabia forcené.

N’ayant rien de mieux à faire, tous revinrent vers Jean avec des clameurs féroces. Callista se montra soudain et ne fut pas la moins acharnée. Sumbalo dut intervenir dans le moment qu’elle excitait les autres à une vengeance immédiate !… Jean ne reconnaissait plus cette furie !…

Eh quoi ! c’était là la petite maîtresse bizarre et nonchalante qu’il avait parée comme une poupée pendant deux ans, et dont il avait cru avoir fait une Parisienne ! Toute la sauvagerie première de la race lui remontait dans les yeux, en flammes éblouissantes, dans la gorge, en menaces et en injures où l’annonce des pires supplices se mêlait à des assertions très offensantes pour la vertu d’une mère qui avait engendré un pareil monstre !

— Le patriarche prononcera ! déclara Sumbalo… Lui seul a le droit de juger un si grand crime !…

Il finit avec un discours pour apaiser tout le monde…

Callista, elle-même, s’éloigna et on laissa Jean un instant tranquille.

Sumbalo se rapprocha de lui pour lui dire :

— Tu n’as qu’une façon de t’en tirer, roumi, c’est de nous dire où se trouve notre reine ! Tu dois le savoir !…

Jean ne lui répondit même pas. Alors Sumbalo s’éloigna, lui aussi, très ennuyé… C’était là la plus funeste aventure de sa vie ! Avoir laissé échapper la queyra ! Heureusement qu’il ramenait l’un de ces gadchi à Sever-Turn !… La colère du peuple retomberait sur celui-là !…

Il tenait à ce qu’il y revînt vivant… Aussi lui fit-il donner quelque nourriture…

Pendant les heures qui suivirent, d’autres bohémiens qui s’étaient attardés de leur côté à retrouver la piste d’Odette rentrèrent dans un état de dépression avancé. La nouvelle de la capture d’un roumi ne pouvait les consoler… Ils allèrent lui montrer le poing puis s’en furent se coucher.

Les feux s’éteignaient.

Jean s’était roulé dans une couverture de cheval qu’on lui avait jetée… Il savait qu’autour de lui on veillait et que toute ten-