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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/173

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réservé, et quand elle y fut assise, il s’agenouilla devant elle par trois fois, en murmurant les formules traditionnelles…

À son exemple, trois fois le peuple s’agenouilla, trois fois il se releva en poussant l’hosannah de victoire qui termine l’hymne à Debla, le Dieu du jour !…

Alors Hubert s’avança vers le patriarche, et comme il demandait à prendre la parole, Andréa s’avança à son tour et dit :

— Celui-ci est un fourbe et un sacrilège ! Ce n’est pas un cigain ! C’est un noble roumi des Saintes-Maries-de-la-Mer, et Sumbalo et Suco le forgeron reconnaissent en cet homme le propre ravisseur de la reine !…

Ayant dit, il porta une main brutale sur le maquillage d’Hubert, lui arracha la barbe, d’où il résulta une grande confusion.

Mais Hubert, impassible sous l’outrage, croisa les bras et dit :

— Je savais qu’un complot était formé contre la queyra par des étrangers !… Je suis entré dans ce complot pour qu’il échouât et pour vous ramener moi-même Celle que vous attendiez !…

— Et quel était ton dessein en agissant ainsi ? demanda le patriarche qui, depuis le commencement de l’incident, n’avait point quitté l’étranger de son regard sévère.

— C’est toi qui me le demandes ! s’écria Hubert… As-tu donc oublié le texte sacré : Il fallait que les prophéties s’accomplissent !…

Le patriarche alors étendit les bras et leva sa belle tête chenue, son front rayonnant d’une subite inspiration !…

— Cet homme dit vrai !… Cet homme est l’envoyé de sainte Sarah !… s’écria-t-il…

— Regardez-moi, vieillards ! reprit Hubert… L’un de vous ne me reconnaîtra-t-il pas ?… Il y a deux ans, un des vôtres, frappé du fléau, me confia le Livre !… s’il est vivant, qu’il s’avance… s’il est mort, qu’il sorte du tombeau !…

— C’est donc toi !… c’est donc toi !… fit l’un des vieillards, toi dont m’a parlé avant d’expirer mon vieil ami, le pope Autischine !… C’est donc toi à qui fut confié le Livre !…

— Ce Livre, où est-il ? demanda le patriarche…

— Ce livre m’a été volé, répondit Hubert, par des roumis qui fuyaient le pays… Je l’ai recherché en vain, mais j’ai pu en retrouver la page la plus précieuse qui en avait été arrachée !…

Il n’avait pas achevé ces mots qu’il présentait la page sacrée au patriarche et au conseil des vieillards qui se pressait autour de lui…

Alors le patriarche lut d’une voix retentissante qui fut entendue jusque sur le parvis du temple :

« La fille de la Race, qui sera marquée du signe de la couronne, sera volée par les roumis…

» Mais un roumi la ramènera dans la cité pour qu’elle soit proclamée « queyra » et lui roi !

» Et ainsi, par cette union, la race sera régénérée !…

Une prodigieuse clameur accueillait la lecture du texte sacré. Dix mille voix s’écrièrent : « C’était écrit ! C’était écrit !… »

Le patriarche prit la main d’Hubert et le conduisit vers Odette qui assistait, telle une icône, aussi insensible apparemment que l’ivoire de son trône, à cette scène formidable dont elle était le centre…

— C’est le Roi du monde qui le fait le Roi de la Terre ! prononça le prêtre… Celui-là sera ton époux !…

Or, à ce moment, il y eut des cris, des protestations, des pleurs d’enfants, des gémissements de femmes bousculées et qui se relevaient menaçantes derrière la sorte de trombe qui les avait renversées !…

Cette trombe ne s’arrêta que devant le patriarche. Cette trombe était Rouletabille !…

— Pardon excuse !… m’sieur le patriarche ! fit-il… moi, j’ai quelque chose à dire avant la cérémonie !…