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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/208

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enfin, elle consent à épouser Hubert, ses premières amours !…

— Tu ne me feras pas douter d’elle, gronda le jeune homme que ces dernières paroles faisaient souffrir atrocement… Si elle se marie avec cet Hubert, j’en mourrai peut-être mais en lui pardonnant, car on lui fait épouser de force un homme qu’elle déteste !…

— Bah ! mon cher, il n’y paraît guère !… fit Callista avec une affreuse ironie… Certes, je ne prétends pas qu’elle l’épouse avec enthousiasme, mais enfin, elle se laisse conduire sans répugnance à l’autel par le plus beau des guardians qui avaient charmé son enfance !…

— Misérable !…

— Insulte-moi, Jean, tout m’est bon de ce qui me vient de toi !… Je ne suis pas comme Odette, moi !… J’ai aimé un homme dans ma vie, nul autre ne m’a approchée, jamais !… et l’on pourrait me menacer des pires supplices, je les subirais avec joie plutôt que d’épouser un autre que cet homme-là !… Et maintenant, calme-toi… Je n’ai plus rien à te dire… Tu n’as plus qu’à ouvrir les yeux… Tu vas voir !…

Ils étaient arrivés à cet étroit escalier tournant par lequel Rouletabille quelques jours auparavant était descendu dans les sous-sols du palais ; et Jean, derrière Callista, le gravit en proie à mille souffrances nouvelles.

Il arriva dans le temple au moment où la queyra apparaissait enfin, saluée d’acclamations frénétiques.

Tout le conseil des vieillards s’était levé et le patriarche alla la prendre par la main et la conduisit au trône d’ivoire auquel on avait fait un baldaquin avec des étoffes d’une richesse fabuleuse. Elle marchait d’un pas d’automate, mais se laissait diriger avec une soumission parfaite. Elle était là comme au centre d’un glorieux nuage. Tous riaient : « C’est la queyra, c’est la queyra ! »… Des jeunes filles vêtues de blanc s’étaient assises à ses pieds. Il y eut un hymne qui fut repris par tous. Puis il y eut un grand silence et une porte au fond de l’abside s’ouvrit et l’on vit apparaître Hubert revêtu d’une tunique très simple mais portant le collier royal, d’un prix inestimable !

Sa tête était nue et toute sa physionomie avait un aspect rude et presque farouche. Il vivait le moment le plus tragique de sa vie. Quelques minutes encore et il aurait Odette et une couronne. Mais dans cet instant suprême, il ne pouvait oublier son étrange destin qui l’avait toujours jeté d’un pôle à l’autre, qui l’avait toujours précipité alors qu’il croyait déjà toucher au but, et, sous cette gravité redoutable, sous ce froncement de sourcils du lutteur toujours prêt à faire face à l’adversaire, il cachait une profonde angoisse.

Tel quel, il plut aux cigains qui l’acclamaient, lui aussi, l’acceptant pour maître.

Le grand Coesre conduisit Hubert à sa place comme le patriarche avait conduit la queyra à son trône. Hubert, au côté d’Odette, occupait un petit siège de marbre pareil à ceux qui étaient réservés aux vieillards du grand conseil.