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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/209

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Odette n’avait pas regardé Hubert. Hubert n’avait pas regardé Odette. En ce moment Hubert pensait : « Où est Rouletabille ?… Que fait-il ? »

Depuis trois jours, il le faisait rechercher. Nul n’avait pu le renseigner. On n’en avait plus trouvé trace… Ah ! s’il avait pu faire jeter Rouletabille dans un cachot, à la place de Jean, comme il l’avait promis à Mme de Meyrens, combien il aurait eu l’esprit plus tranquille pour goûter toute la joie du triomphe !…

L’office avait commencé, l’étrange office qui avait emprunté ses rites à toutes les religions et à tous les âges… Il était souvent interrompu par des danses comme aux temps bibliques… Et c’est ainsi que l’on vit soudain, tournoyant sous des voiles légers, Callista !…

Elle n’avait jamais été aussi belle ! Tous ceux qui étaient là crurent qu’elle dansait pour la queyra, mais c’était à Jean qu’elle dédiait son délire chorégraphique. Elle se pâmait aux pieds d’Odette, dans une prosternation pleine d’une extase sacrée, mais c’était Jean qu’elle conviait à l’anéantissement amoureux d’où elle ressuscitait soudain par de nouveaux jeux où son jeune corps bondissant semblait tour à tour poursuivre et fuir la volupté.

Elle savait qu’elle lui avait plu par l’audace païenne d’un art qui chez elle paraissait inné tant elle mettait d’imagination à créer des figures inattendues où se peignait son âme ardente, sensuelle, soumise à l’amour jusqu’à l’esclavage, vindicative jusqu’à la cruauté.

Était-il possible qu’il assistât à un spectacle aussi rare sans se rappeler comment les autres avaient fini, de l’allégresse avec laquelle il l’emportait demi-morte dans ses bras impatients qui tremblaient d’avoir emprisonné la Beauté ?

Hélas ! hélas ! Jean ne la regardait même pas. Jean n’avait d’yeux que pour Odette et pour Hubert, assis l’un à côté de l’autre, comme si leur union était déjà consacrée, et la souffrance de Jean était infinie.

Comme il l’avait dit à Callista, il n’en voulait pas à Odette de cette affreuse capitulation de son amour. Il n’avait qu’à la regarder pour voir que le désespoir qui la figeait sur son trône, entre les oripeaux royaux dont on l’avait accablée, était au moins aussi grand que celui qui l’étreignait, lui, Jean, dans l’ombre de ce pilier, où nul ne prêtait attention à son agonie.

Il n’avait même plus la force de souhaiter la mort d’Hubert ! Les choses étaient ainsi. Ils n’y pouvaient plus rien ni les uns ni les autres ! Comme disaient les cigains, c’était écrit ! Il était écrit que Jean n’épouserait jamais Odette, qu’elle serait la femme d’Hubert !… Ils étaient tous sous le coup de l’inévitable… Tous les gestes qu’ils avaient faits étaient vains… Seulement Jean regrettait qu’on ne l’eût pas laissé mourir dans son cachot.

La suite de la cérémonie se déroula, pour lui, comme dans un rêve, dans un affreux cauchemar qui l’effrayait de plus en plus et qui finit par lui arracher un gémissement quand il vit le patriarche rapprocher les mains d’Hubert et d’Odette pour les unir.