Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sait faire et les « balogards » s’enfermaient chez eux avec leurs trésors.

Le conseil des vieillards se tenait en permanence au palais. Le docteur de la bibliothèque avait constaté le crime. L’affaire était d’une gravité consternante pour le patriarche qui se demandait comment il pouvait se tirer de là sans ordonner les supplices rituels, ce qui, naturellement, ne manquerait pas de lui attirer quelques ennuis avec les puissances étrangères.

Il souhaitait ardemment que Rouletabille et ses amis, auxquels il avait donné le conseil de déguerpir au plus vite, eussent pu s’échapper.

— Nous voilà propres ! s’était exclamé le reporter…

Mais comme, suivant sa coutume, il connaissait admirablement les aîtres de la bâtisse, qui momentanément les abritait, il eut tôt fait d’entraîner avec lui Jean et Odette dans un petit escalier de service qui ouvrait sur les derrières de l’hôtel, du côté opposé au caravansérail… Déjà les salles du rez-de-chaussée étaient pleines d’une foule vocifératrice et l’on entendait des coups de crosse de fusil dans les portes qui résistaient encore.

À ce moment la petite troupe des trois amis fut rejointe par un Nicolas Tournesol qui était l’image même du désespoir…

— Ils vont mettre le feu à l’hôtel, sauvons-nous vite ! râla-t-il.

— Et cette pauvre Mme de Meyrens ? Vous l’abandonnez ? goguenarda Rouletabille.

Mme de Meyrens, elle peut bien aller au diable !… C’est elle qui est cause de tout avec cet Hubert de malheur !

Enfer et mastic ! s’écria Rouletabille, j’ai oublié mon « nécessaire » !…

— Quel nécessaire ? demanda Jean surpris de voir son ami s’arrêter et tout prêt à rebrousser chemin…

— Mais mon nécessaire de toilette, répondit l’autre qui était déjà prêt à s’élancer dans l’escalier qu’ils venaient tous de descendre.

Jean l’arrêta :

— Ah ! ça, mais tu es fou !… Dans une minute, il sera trop tard pour nous échapper et tu penses à ton « nécessaire » !

— Ah ! mon vieux, voilà deux fois que je suis obligé de faire ma provision de liquettes ! Je ne suis pas millionnaire, moi ! Et surtout attendez-moi là ! ne faites rien sans moi !…

Sur quoi, repoussant Jean assez brutalement, il disparut, rentrant dans l’hôtel.

— Il a complètement perdu la tête ! s’écria Jean exaspéré. Sauvons-nous, Odette !

— Il a dit que nous l’attendions ! attendons-le ! répliqua la jeune fille.

— Mais nous sommes perdus !… Entendez-les tous ! Ils arrivent !… Tenez les voilà !…

— Raison de plus ! reprit Odette qui semblait maintenant avoir pris son parti de tout et qui s’assit sur un banc de pierre, dans une pose pleine d’une fatale lassitude. Raison de plus, Jean !… Vous ne voudriez pas que nous nous échappions et que Rouletabille restât entre leurs mains !…

— Et tout cela pour un nécessaire de toilette !… s’exclama Jean qui se sentait devenir fou !

Pendant ce temps, M. Nicolas Tournesol qui, lui, n’avait pas oublié sa valise, pleine de ses objets les plus précieux et laquelle contenait en outre le dépôt confié à la vigilance du commis voyageur par Rouletabille lui-même, prenait hâtivement le large, à travers les terrains vagues aboutissant à un cimetière d’où il espérait, protégé par les morts, pouvoir gagner la campagne.

Hélas ! son mauvais sort le fit tomber dans un cortège qui conduisait un « balogard » à son dernier asile et, à la vue du roumi, tous se précipitèrent !… si bien que, quelques minutes plus tard, il était question d’enterrer le vivant avec le mort !

Car il y a des moments critiques dans la