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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/219

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II. — Où Rouletabille joue son jeu

Mais tous ces reproches ne semblaient pas toucher outre mesure Rouletabille.

En vain, Jean, exaspéré, lui criait-il que sa fameuse ingéniosité n’avait d’égale, en de certains moments, que son stupide entêtement (il n’osait dire : sa bêtise), le reporter n’exprimait aucun regret de ce qui venait de se passer. Et cependant ce qui venait de se passer « n’avait de nom, affirmait Jean, dans aucune langue » !… Risquer sa vie et celle de ses amis pour rentrer en possession d’un sac de voyage !…

Odette, excédée, essayait bien de calmer Jean, mais la chose était difficile, car on entendait alors la voix du reporter qui murmurait comme dans un rêve :

— J’aurais dû passer par l’autre corridor et alors je revenais par l’escalier de service, après avoir eu le temps de prendre mon « nécessaire »…

— Ah ! tais-toi avec ton « nécessaire » !… Je te jure bien que si Odette avait voulu me suivre, je ne t’aurais pas attendu, moi !

— Eh bien, mon vieux, fallait ficher le camp !… Qu’est-ce que tu veux ? Moi, je ne peux pas me faire à l’idée de rester encore une fois sans une brosse à dents !…

Reprise sur ce ton, la conversation entre Rouletabille et Jean pouvait aboutir à des actes de démence… Heureusement — ou malheureusement — elle fut interrompue par l’entrée d’Andréa et de sa bande armée qui venait chercher les prisonniers pour les conduire au patriarche.

Celui-ci les attendait dans une petite salle qui précédait celle du grand conseil et qui n’en était séparée que par un épais rideau de pourpre.

Il avait avec lui deux vieillards et le docteur de la bibliothèque. Tous paraissaient plus tristes les uns que les autres en considérant le livre sacré que l’on venait enfin de reprendre aux roumis, mais dans quel état !…

Ils constataient, dans une grande désolation, que les ferrures et les pierres précieuses en avaient été arrachées. Et ils échangeaient entre eux les propos les plus funestes pour les barbares qui n’avaient pas craint de mutiler ainsi un pareil chef-d’œuvre.

Au dehors, la voix du peuple grondait, puis déferlait par rafales quand une porte s’ouvrait : « À mort les profanateurs ! »

Le patriarche s’adressa à Jean et lui demanda d’une voix sévère, par le truchement du docteur de la bibliothèque :

— Qu’avez-vous fait des gemmes qui ornaient ce livre, des précieuses miniatures qui le décoraient, des ferrures d’art qui le