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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/220

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défendaient contre l’usure des siècles ?…

Jean protesta qu’il ne connaissait pas ce livre, qu’il le voyait pour la première fois, qu’il ne l’avait jamais eu en sa possession et qu’il était victime d’une abominable machination !

Tous l’écoutaient dans la plus grande incrédulité, quand Rouletabille prit la parole :

— Il est exact, déclara-t-il, que mon ami n’a jamais eu ce livre en sa possession ! Quant à moi, ce n’est pas la première fois que je l’aperçois, et je vous dirai même que je suis en mesure de vous rendre immédiatement l’un des joyaux qui en ont été arrachés !…

Mouvement général. Rouletabille, d’un geste brusque, a plongé sa main dans sa poche à revolver. Andréa bondit, saute sur lui, mais le reporter sort, en souriant de sa poche, un bijou qu’il remet au patriarche…

C’est le collier au pendentif orné du signe fatal, « la croix et le croissant », qui fermait jadis le livre sacré.

Le patriarche, les vieillards le reconnaissent !… Odette elle-même se souvient… Pourquoi Rouletabille sort-il ce bijou dont la possession les accuse plus qu’aucune autre preuve ?

Le reporter est interrogé… Où a-t-il trouvé ce bijou, s’il ne l’a pas volé lui-même ?… Et tranquillement, Rouletabille répond :

— J’ai trouvé ce bijou chez mademoiselle !

Il désigne Odette qui, sous cette attaque directe et à laquelle la jeune fille était si loin de s’attendre de la part de son « petit Zo » rougit et s’émeut. Jean, comprenant de moins en moins l’attitude de Rouletabille, et voyant l’embarras d’Odette, vient à tout hasard au secours de celle-ci en protestant contre la dangereuse affirmation du reporter : « Jamais il n’a vu ce bijou entre les mains de sa fiancée ! »

— Et moi je répète que j’ai trouvé cette ferrure dans la chambre de Mlle de Lavardens !

Odette, au milieu de la confusion générale, demande à se faire entendre. C’est d’une voix tremblante qu’elle avoue :

— C’est vrai, ce bijou était en ma possession, mais jamais je n’aurais cru que Rouletabille oserait m’accuser !… Je l’ai jeté dans un tiroir aussitôt qu’il m’eut été donné et si l’on a pu l’y trouver, c’est que je l’avais oublié, je le jure ! tellement j’y attachais peu d’importance ! ajouta-t-elle en se tournant douloureusement du côté de Jean.

— Mais ce bijou ! s’écria Jean, de qui le tenais-tu ?

— Pardonne-moi, Jean, c’était un cadeau d’Hubert !

— Enfin ! s’exclama Rouletabille ! je ne le lui ai pas fait dire !…

— Au contraire ! releva Jean avec amertume… un cadeau d’Hubert, Odette, et tu l’avais gardé !…

— Oh ! toi, maintenant, la ferme, mon vieux ! lui jeta Rouletabille… Messieurs, c’est à mon tour de parler !… Du reste, ce que j’ai à vous dire ne sera pas long !… Et vous comprendrez toute l’affaire !… Ce joyau, arraché au Livre des Ancêtres, a été offert par Hubert à mademoiselle… Or, moi je fais serment d’avoir vu le Livre des Ancêtres chez Hubert !… qui l’avait rapporté du patriarcat lors d’un récent voyage !… et qui vient de le glisser dans le bagage de son rival, mon ami Jean de Santier-