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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/221

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ne !… Le voleur, c’est Hubert ! vous avez compris ?

Alors la voix d’Andréa se fit entendre :

— Faisons venir Hubert, il confondra ces fourbes !

Mais au moment où le patriarche acquiesçait à cette proposition qui paraissait des plus normales, Rouletabille supplia qu’on n’y donnât point suite :

— Si vous faites venir Hubert, expliqua-t-il, il ne nous confondra pas, il niera !… Et moi, de mon côté, en affirmant, je ne le confondrai pas davantage !… Il faut que la preuve de l’infamie que je vous dénonce ne vienne ni de lui ni de moi, pour qu’elle acquière aux yeux d’un conseil de sages comme celui que je vois rassemblé ici, une valeur capable d’entraîner votre conviction !… Prêtez-moi donc une oreille attentive !… Il existe une femme dont vous ignorez la présence dans cette ville et qui en sait long sur Hubert de Lauriac ! c’est cette femme que je voudrais vous faire entendre.

« Encore la Pieuvre ! se disait Jean… Quel secours peut-il attendre de ce côté ?

Et il voulut le détourner de son dessein, lui rappelant qu’elle avait partie liée avec Hubert depuis Innsbruck et qu’elle n’était certainement venue à Sever-Turn que pour leur porter un dernier coup.

Mais Rouletabille ne l’écoutait même point.

— Il faut que je retrouve cette femme ! disait-il au patriarche… Accordez-moi une heure de liberté !

Jean haussait les épaules :

— Si tu crois qu’ils vont te laisser sortir comme ça !

— Je vous laisse mes amis comme otages ! proposa le reporter… Si je ne suis pas de retour dans une heure, vous en ferez ce que vous voudrez !

— Charmant ! prononça Jean, ahuri de tant de simplicité dans le cynisme… Ah ! il nous plaque bien !

— Laisse-donc faire, petit Zo !… émit Odette de sa voix douce… On a toujours tort de lui en vouloir !… Avec lui, on ne comprend jamais qu’après !… Tu verras qu’il nous tirera encore de là !…

Les vieillards s’étaient concertés. Le départ de Rouletabille ne gênait pas Andréa ; au contraire, il espérait bien qu’on ne le reverrait plus et qu’alors on en finirait avec Jean… Il fut décidé toutefois par les vieillards que l’on donnerait une escorte au journaliste.

Celui-ci accepta de bonne grâce trois gardiens désignés par Andréa.

— Avant une heure, je vous les ramène ! dit-il au patriarche en désignant les miliciens. Mais promettez-moi de votre côté de me garder Hubert.

— Où est-il ? questionna Féodor.

— Ici ! fit Rouletabille en soulevant d’un geste rapide le rideau de pourpre qui se trouvait derrière le fauteuil du patriarche. Ici !… il nous écoute !… Sans doute trouve-t-il à notre conversation un certain intérêt !

Hubert avait tout entendu. Il expliqua avec un affreux sourire :

— Allez, monsieur ! allez chercher Mme de Meyrens !

Et il tourna le dos à Rouletabille, tant il était sûr de lui.

Le reporter bondit hors de la salle. Les gardes eurent peine à le suivre. Dehors, les cris de la foule avaient redoublé.