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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/228

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IV. — Où l’on se retrouve à Paris pour une utile conversation

« On annonce le prochain mariage de M. Jean de Santierne avec Mlle de Lavardens. Cette union sera célébrée dans la plus stricte intimité en raison du deuil récent de la jeune fiancée. La cérémonie aura lieu en l’église de Lavardens (Bouches-du-Rhône). »

Rouletabille, qui avait enfin retrouvé ses pénates du faubourg Poissonnière relisait ces quelques lignes publiées le matin même dans tous les journaux… Il les relisait en fumant sa pipe et sans autre manifestation des sentiments qui l’agitaient qu’une certaine précipitation dans sa façon de respirer la fumée et de la renvoyer brusquement par le nez… Évidemment, l’on ne pouvait découvrir là le signe de la plus grande satisfaction… mais pourquoi, mais en quoi n’était-il pas satisfait ?… Le savait-il lui-même ?… Que pouvait-il désirer de plus ? Son œuvre n’était-elle point accomplie ?… Les quelques lignes qui lui dansaient devant les yeux n’étaient-elles point le couronnement de tous ses efforts ?… Il avait fait, autour de lui, du bonheur !… Que lui fallait-il de plus ?… C’est la question qu’il finit par se poser et à laquelle il finit par répondre tout haut et assez nerveusement : « Rien ! »

Sur ces entrefaites, la porte de son studio s’ouvrit et Jean parut…

— Eh bien, Rouletabille, tu dois être content ! commença Santierne qui, lui, était rayonnant… on ne parle que de toi dans toute la presse !…

— Oh ! on parle bien un peu de toi aussi, mon cher, lui répliqua Rouletabille en faisant un léger effort pour dissimuler le rapide émoi auquel il s’était laissé aller au moment même de l’arrivée de son ami…

Et il lui désigna les lignes annonciatrices de son prochain bonheur…

— Mon Dieu, oui !… de moi et d’Odette naturellement !… mais le héros, c’est toi ! le deus ex machina, c’est toi !… L’homme qui a vaincu le destin et les bohémiens et mis Sever-Turn dans sa poche, c’est toi !… je suis venu pour te dire, mon vieux Rouletabille, qu’Odette et moi serons éternellement tes obligés… Encore une fois, merci !…

— Je t’ai déjà répondu qu’il n’y avait pas de quoi !… Allons, mon vieux Jean, embrasse-moi et retourne vite auprès d’Odette…

— Tu me chasses ?

— Non… mais j’imagine qu’Odette t’attend !…

— C’est vrai !

— Elle n’est pas malade ?

— Non !… en voilà une question !

— Oh ! je te disais cela… parce que, tu sais, elle aurait pu t’accompagner !

— Elle me l’a demandé !… mais j’ai trouvé un prétexte…

— Pour venir tout seul ?

— Oui !… Oh ! elle ne s’ennuie pas !… elle court les magasins avec sa vieille mama, son ancienne gouvernante… tu sais bien, celle que M. de Lavardens avait mise si singulièrement à la porte au retour d’un voyage d’Odette chez… chez sa tante ! acheva Jean en rougissant.

Quant à Rouletabille, il regarda Jean gravement et s’assit, impassible…

— Oui, reprit Santierne qui paraissait de plus en plus embarrassé… j’ai voulu venir seul parce que je voulais te parler… de… de… de Mme de Meyrens !…