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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/73

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commençait à donner. La confusion se mit dans les lignes. Les éléphans blessés ne se laissaient plus gouverner ; ils couraient avec fureur et foulaient aux pieds tout ce qui se trouvait sur leur passage. Les Indiens, resserrés et pressés de toutes parts, en souffraient beaucoup plus que les Macédoniens qui avaient de l’espace, et s’ouvraient lorsqu’ils venaient de leur côté, afin de les percer ensuite de leurs traits. Alors, dit Arrien, on voyait ces animaux énormes se traîner languissamment comme une galère fracassée ; ils poussaient de longs gémissemens.

La cavalerie macédonienne environnait celle des barbares acculée contre leur infanterie ; les sections de la phalange s’élançaient partout dans les vides ; les Indiens furent bientôt rompus. Cratérus, qui avait passer la rivière, se mit aux trousses des fuyards, et en fit un grand carnage. Les Indiens perdirent vingt-trois mille hommes ; leurs chariots et tous les éléphans furent tués ou pris. Les deux fils de Porus périrent dans cette journée ; lui-même, couvert de blessures, tomba au pouvoir d’Alexandre, qui lui témoigna l’estime que lui inspirait sa valeur.

Après le passage de l’Hydaspe, Alexandre pénétra dans l’intérieur de l’Inde, et soumit trente-sept villes, dont les moindres avaient sept mille habitans, et les autres dix mille. Arrivé sur les bords de l’Acésines, il ne le passa ni sans peines ni sans dangers. Il traversa ensuite avec moins de difficulté l’Hydraote ; mais ayant appris que les Cathéens conspiraient avec les Oxydraques et les Malliens, il marcha contre les premiers qui étaient en armes sous les murs de Sangala, les défit, et prit leur ville où dix mille Indiens furent tués et soixante-dix mille faits prisonniers.

Le prince se disposait à passer l’Hyphase, dans l’espoir d’arriver jusqu’au Gange, lorsqu’il fut arrêté par les murmures de ses soldats. Les Gangarides et les Prasiens, habitans de la contrée qu’arrosait le Gange, formaient une puissance formidable ; la valeur de Porus et de son armée, indiquaient assez qu’il faudrait leur livrer des batailles sanglantes, et que la multitude pourrait enfin écraser les Macédoniens. Tous désiraient ardemment retourner dans leur patrie.

C’est en vain qu’Alexandre voulut relever leur courage et leurs espérances par un discours plein de noblesse ; il ne put y réussir. Quinte-Curce profite de la circonstance pour mettre dans la bouche du prince une digression sur les éléphans et la crainte qu’ils pouvaient inspirer. Vous savez que Quinte-Curce a fait un livre où les événemens militaires sont toujours présentés sous un point de vue faux. Cœnus ayant répondu au nom des Macédoniens, Alexandre n’osa entreprendre malgré eux le passage de l’Hyphase ; ainsi, ce fut sur la rive occidentale que s’arrêta le conquérant.

Il revint sur ses pas, traversa une seconde fois l’Hydraote et l’Acésines, et arriva vers l’Hydaspe. Là, on construisit par ses ordres deux mille bateaux, sur lesquels il embarqua ses troupes pour descendre jusqu’à l’Indus. Il subjugua ensuite les Malliens, et vint dans la Pattalène où l’Océan s’offrit pour la première fois aux yeux des Macédoniens épouvantés par le phénomène du flux et du reflux qu’ils ne connaissaient pas.

Arrivé aux bouches de l’Indus, Alexandre divisa son armée en trois corps, donna l’un à Cratérus avec ordre de retourner vers l’Hydaspe, et de le rejoindre ensuite dans la Carmanie, en passant par l’Arachosie et la Drangiane. Il fit embarquer le second corps sur la flotte que Néarque conduisait, et se mit lui-même en marche avec le troisième,