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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/664

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POLYBE, LIV. VII.

pérance de réussir. La preuve qu’il avait que ce côté n’était point gardé, la voici : ce mur est bâti sur un rocher extrêmement haut et escarpé, au pied duquel est comme un abîme où l’on jetait de la ville les corps morts des chevaux et des bêtes de charge ; là s’assemblaient, tous les jours, un grand nombre de vautours et d’autres oiseaux carnassiers, qui, après s’être rassasiés, ne manquaient pas d’aller se reposer sur le rocher et sur la muraille. De là, Lagoras conclut qu’il était possible que cet endroit fût, la plupart du temps, négligé et sans garde. D’après cette pensée, la nuit il descendait sur les lieux, et examinait avec soin comment il pourrait approcher et où il devrait poser les échelles, et ayant trouvé, contre un des rochers, un endroit propre à l’exécution de ses projets, il fit aussitôt part au roi de son dessein et de sa découverte. Celui-ci fut charmé de l’espérance qu’on lui donnait ; il exhorta Lagoras à pousser jusqu’au bout son entreprise, lui promettant que, de son côté, il ferait tout ce qui serait possible. Lagoras pria le roi de lui donner pour compagnon l’Étolien Théodote et Denis, capitaine de ses gardes, l’un et l’autre lui paraissant avoir toute la force et toute la valeur que son projet demandait. Les ayant obtenus, tous trois tiennent conseil, et, agissant de concert, n’attendaient plus qu’une nuit à la fin de laquelle il n’y eût point de lune. Lorsqu’ils l’eurent trouvée, la veille du jour où ils devaient exécuter leur dessein, vers le soir, ils choisirent quinze hommes des plus forts et des plus braves de l’armée, pour porter les échelles, escalader et courir le même péril qu’eux. Ils prirent trente autres pour les mettre en embuscade à quelque distance, et ceux ci, lorsque les premier, après l’escalade, seraient arrivés à une porte qui était proche, devaient venir à cette porte et aider les autres à la briser. Deux mille hommes devaient les suivre, et avaient ordre de se jeter dans la ville et de s’emparer de l’esplanade qui environne le théâtre et qui commande la ville et la citadelle ; et de peur que la vue de ce choix d’hommes ne vînt à faire soupçonner quelque chose de cette entreprise, il fit courir le bruit que les Étoliens devaient, par certain fossé, se jeter dans la ville, et que c’était sur cet avis que l’on avait formé ce détachement pour leur couper le passage.

Tout étant prêt pour l’exécution, dès que la lune se fut cachée, Lagoras et ses gens s’approchent doucement des rochers avec leurs échelles, et se cachent sous une pointe qui s’avançait sur le fossé. Le jour venu, et la garde s’étant retirée de cet endroit, pendant que le roi envoyait, selon la coutume, des troupes en différens postes, et qu’il en assemblait et rangeait d’autres en bataille dans l’Hippodrome, les Crétois travaillaient sans que l’on eût le moindre soupçon de leur entreprise. Mais quand on eut appliqué deux échelles, par lesquelles Denis et Lagoras commençaient à monter, il y eut un grand tumulte et un grand mouvement dans le camp ; car, quoiqu’on ne vît l’escalade ni de la ville ni de la citadelle, à cause de la pointe qui s’avançait en dehors du rocher, on voyait entièrement du camp cette action hardie et extraordinaire ; les uns en étaient étonnés comme d’un prodige ; les autres qui en prévoyaient les suites, en attendaient avec une joie mêlée de crainte l’événement et le succès. Le roi fut informé de ce bruit, et, pour détourner de l’entreprise de Lagoras l’attention, tant des assiégés que de ses propres troupes, il