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POLYBE, LIV. XII.

la plupart des Perses y périrent en fuyant.

En vain dirait-il qu’Alexandre voulait par là faire face aux ennemis en quelque endroit qu’ils parussent ; car rien n’est moins en état de faire face qu’une phalange dont le front est désuni et rompu. Il était beaucoup plus aisé de se ranger en ordre de marche que de présenter de front et sur une seule ligne droite une armée éparse et divisée, et de la mettre aux mains dans un terrain couvert de haies et plein de ravins. Il devait donc plutôt former deux ou quatre phalanges à la queue les unes des autres. On aurait pu leur trouver des passages, et il n’aurait pas fallu grand temps pour les ranger en bataille : et d’ailleurs, qui empêche qu’on ne se fasse informer par des avant-coureurs de l’arrivée des ennemis long-temps avant qu’ils soient en présence ? Il fait encore ici une autre faute, car il mène l’armée de front dans une plaine et ne fait pas marcher devant la cavalerie. Elle marche sur une même ligne avec les gens de pied.

Mais voici la plus grande de toutes les absurdités. Quand, dit-il, Alexandre fut près des ennemis, il se rangea sur huit de hauteur. Il fallait donc de toute nécessité que la phalange eût quarante stades de longueur. Que l’on serre, si l’on veut, les rangs de telle sorte, qu’ils se touchent les uns les autres, il faudra toujours que le terrain qu’elle occupe soit long de vingt stades. Et cependant il dit qu’il n’en avait pas quatorze, et outre cela qu’une partie était proche de la mer, l’autre partie sur l’aile droite, et qu’entre la bataille et les montagnes on avait laissé un espace raisonnable pour n’être pas sous le corps qui était posté au pied de la montagne. Il est vrai que pour couvrir l’armée contre ce corps, il lui en oppose un autre en forme de tenaille. Mais aussi nous lui laissons pour cela dix mille hommes de pied, ce qui est plus qu’il ne demande. Il suit de tout ce que nous venons de dire que, selon cet historien, la phalange avait tout au plus onze stades de longueur, et par une conséquence nécessaire qu’on avait logé dans cet espace trente-deux mille hommes sur trente de hauteur. Cependant à l’heure du combat la phalange était sur huit de hauteur au rapport de Callisthènes. Comment excuser des contradictions si manifestes ? L’impossibilité des faits qu’il rapporte saute d’abord aux yeux. Après avoir marqué l’intervalle qu’il y avait entre chaque homme, déterminé la grandeur du terrain, compté le nombre des troupes, il ne pouvait mentir sans se rendre inexcusable.

Je serais trop long si je voulais montrer toutes les absurdités dans lesquelles il est tombé. J’en toucherai seulement quelques-unes. Il dit qu’Alexandre, en mettant son armée en bataille, prit garde qu’il pût combattre avec le corps que commandait Darius, et, de même, que Darius voulait se battre contre Alexandre, mais qu’ensuite il changea de sentiment, et il ne dit ni comment l’un et l’autre pouvaient connaître en quel quartier de leur armée ils étaient, ni où Darius se retira après avoir changé de résolution. De plus, comment la phalange en bataille est-elle montée sur le bord d’un fleuve qui presque partout est escarpé et couvert de buissons ? Il n’est pas permis de mettre une si grande ignorance sur le compte d’Alexandre que l’on reconnaît avoir dès son enfance appris et exercé le métier des armes. On ne doit donc s’en prendre qu’à l’historien, qui était si neuf dans les choses de la guerre qu’il ne savait pas distinguer ce qui se pouvait de ce qui ne se pouvait pas. Mais laissons là enfin Éphore et Callisthènes. (Dom Thuillier.)