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Page:Londres - L’Âme qui vibre, 1908.djvu/41

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PAUVRETÉS


Hélas ! l’esprit possède aussi ses pauvretés.
Rares sont les cerveaux qui n’en sont habités.
N’est-il pas évident, de nos jours, que nous sommes,
Comme dirait un sage, en décadence d’hommes ?
On agit trop. L’esprit s’égare et tourne mal ;
Le Beau n’est plus le Bien. Ce n’est plus le canal
Qui conduit ciseler les rêves vers la plume.
La gloire est devenue un tabac que l’on fume
Dans un grand narguilé tout damasquiné d’or.
L’esthète y vient puiser les microbes du sort,
Il y vient s’enivrer, par énormes bouffées,
Du poison qui l’endort dans le pays des fées.
Et pas un ne se dit que c’est l’œuvre de mort
Qui s’échappe en vapeur de ce narguilé d’or.
Mais tous, autour du vase assassin qui les mine,
Agenouillés, les yeux envolés vers la cime,
Tous : les fondeurs de mots, les coureurs d’idéal,
Mâchent entre leurs dents le bout d’ambre fatal,
Et tous, quand s’éteindra l’encens qui les soulève,
Bomberont des hauteurs gigantesques du rêve,
Abîmés dans la peine effroyable d’avoir
Dans le narguilé d’or trouvé le poison noir.

Les voilà bien : esprit qui pense et cœur qui souffre !
Plus ils font de projets, plus la gloire en engouffre ;