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Page:Lorrain, Jean - Sonyeuse, 1891.djvu/100

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belle et svelte créature, qui garda jusqu’aux derniers jours et la taille et la gorge et les bras de ses vingt ans, promener par les salons déserts de la Recette, les écharpes de gaze et les fourreaux collants d’un autre âge, terrible et mystérieuse comme une statue mutilée, avec sa tête enveloppée d’un éternel tulle noir, — ce tulle noir, il ne la quitta plus, impénétrable comme un masque, sombre et troublant comme une énigme, voilant de deuil et de mystère ce visage de stigmatisée, ayant conscience de son malheur. Cloîtrée dans sa laideur, elle avait pris le voile. Sa pièce préférée était ce petit salon.

Une main amie en avait ôté, comme de toute la maison, les miroirs et les glaces, même jusqu’aux pendules, tout ce qui eût pu rappeler à cette suppliciée et le temps de splendeurs et le temps d’une beauté qui pour elle n’étaient plus.

Parfois, dans les jours d’été, elle prenait mon bras, et, toujours voilée, allait jusqu’au boulingrin, dans le fond du jardin et de là, sur la terrasse, elle regardait très longuement cette ville d’Avranches, où elle avait été reine et qui ne la