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Page:Lorrain, Jean - Sonyeuse, 1891.djvu/237

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et la curiosité des sens garantie des poursuites judiciaires par le semblant de vie de la victime.

— Oh ! quelle erreur, mon cher, et que tu es loin de compte ! Mais Fauras est un tendre, un élégiaque, un obsédé d’exquises impressions de tristesse, un affolé de deuil ; il porte un crêpe dans ses pensées et une urne funèbre à la place du cœur ; délicieusement navré et aux anges de l’être, il effeuille éternellement sur des amours nouvelles le cyprès toujours vert de ses regrets, — phénix sans cesse renaissants !

— Je t’avoue n’y plus rien comprendre.

— Homme grossier que tu es ! Aimer une femme qui va mourir, savoir que le temps est compté de ses baisers et de ses caresses, sentir sous son râle l’heure fuir irrévocable et à jamais perdue ; désespéré d’avance et pourtant enivré, avoir la conscience que chaque volupté subie est une étape de plus vers la tombe, et, les mains frémissantes d’horreur et de désirs, creuser dans son alcôve la fosse où l’on couchera son amour, voila la saveur de la chose et il faut n’avoir jamais connu l’âpre attrait des rendez-vous hâtifs et sans retour pour