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Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/168

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sur le ciel devenu d’or pâle. Dans la foule plus confuse qui remue sous mes fenêtres, les costumes de toile des matelots font des taches blanches, qui de plus en plus se pressent contre les légers châles noirs ; les promeneurs peu à peu se dispersent, s’éclaircissent, s’en vont en se donnant le bras ; leur bourdonnement cesse, on entend mieux, dans l’eau, les derniers coups d’aviron des gondoliers qui rentrent au port.

Et tout à coup, parce que c’est l’heure et la consigne de guerre, tout à coup, avec une brusquerie un peu saisissante, les musiques se taisent, les cafés tous ensemble se ferment, les quelques lumières déjà allumées s’éteignent. Une impression de tristesse et d’angoisse passe sur la ville, comme un vent froid qui soudain aurait soufflé : la guerre, que l’on avait oubliée, les avions de l’Autriche qui, cette nuit, pourraient encore revenir !… Et tout à l’heure peut-être, très vite, sans bruit, de fantastiques toiles d’araignée en acier s’élèveront jusqu’à trois mille mètres vers les étoiles, pour tâcher d’attraper par les ailes les grands oiseaux meurtriers qui viendraient rôder dans l’air.